lundi 23 avril 2018

ETUDE RECHERCHE Fardeau mondial des troubles mentaux chez les enfants de 5 à 14 ans

Les troubles mentaux, première pathologie des jeunes
Le Figaro, no. 22922
Le Figaro, lundi 23 avril 2018

Dans une population globalement en bonne santé physique, anxiété, dépression ou troubles du comportement pèsent lourd et touchent les enfants de plus en plus tôt.
Prigent, Anne

JEUNESSE
Anxiété, dépression, troubles du comportement... en quelques années, les troubles mentaux ont pris la première place sur le podium des maladies qui impactent la santé de nos enfants. Pour parvenir à cette conclusion, le Pr Bruno Falissard, pédopsychiatre et directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, a comparé les données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui évalue le nombre d'années en bonne santé perdues en raison d'une pathologie, entre 2000 et 2015.
« Globalement, les enfants entre 5 et 15 ans vont de mieux en mieux. Mais comme cette amélioration est moins nette pour la santé mentale, la part relative des troubles mentaux augmente » , plus particulièrement dans les pays occidentaux, souligne l'auteur de l'étude publiée sur le site de la revue Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health. Cette dernière a également permis de classer chaque trouble mental en fonction de la souffrance ressentie par les enfants. Résultat : les troubles du comportement, les troubles anxieux, les troubles dépressifs majeurs et le syndrome d'autisme-Asperger arrivent en tête du podium.
« Cette étude nous démontre que les troubles du comportement représentent une part importante de la souffrance de l'enfant. Or ces enfants impulsifs ou encore qui ne savent pas gérer leurs émotions et ne peuvent pas se contrôler subissent souvent la double peine. Ils vont mal et le plus souvent on les voit comme des enfants mal élevés et non pas comme des enfants en souffrance » , souligne le Pr Bruno Falissard.
Il faut dire que, d'une façon plus générale, il est difficile pour les adultes d'imaginer qu'un enfant puisse souffrir psychiquement. Or l'enfance n'est pas un âge heureux pour tous. « Il y a vingt-cinq ans, la dépression concernait quasi exclusivement les adolescents. Or elle apparaît désormais plus fréquemment chez des enfants avant l'âge de 10 ans. Il y a quelques années, pour qu'un enfant jeune fasse une dépression, il fallait une série d'événements déclenchants. Ce n'est plus le cas » , explique le Pr Marie-Rose Moro, chef de service à la maison des adolescents de Cochin à Paris. Et les actes suicidaires chez les moins de 11 ans sont de plus en plus nombreux.
D'autres troubles, longtemps cantonnés aux affres de l'adolescence, touchent désormais des populations de plus en plus jeunes. C'est le cas par exemple de l'anorexie mentale. Cette dernière, qui frappait plutôt les jeunes filles de milieux aisés après la puberté, concerne de plus en plus de jeunes filles prépubères mais aussi des garçons et de tous les milieux sociaux.
Pour le Pr Xavier Pommereau, responsable du pôle adolescent au CHU de Bordeaux, les troubles du comportement alimentaire sont devenus un véritable sujet de préoccupation. « À côté des troubles classiques comme l'anorexie mentale et la boulimie nerveuse, nous voyons apparaître de nouveaux troubles » , explique le spécialiste. C'est, par exemple, le surpoids et l'obésité liés à un repli sur soi et une addiction aux jeux vidéo chez de jeunes garçons ou la boulimie avec vomissement rencontrée chez des jeunes filles. « Certaines peuvent se faire vomir 3 ou 4 fois par jour, avec de véritables risques pour leur santé » , met en garde Xavier Pommereau.
Autre phénomène qui interpelle les pédopsychiatres, l'explosion des automutilations : sur vingt ans, cette pratique a augmenté de plus de 300 % chez les jeunes. « Une étude que j'ai menée auprès de 2 000 adolescents de 15 ans des régions Alsace et Poitou-Charentes montre que 33 % d'entre eux se sont automutilés au moins 1 fois » , affirme le professeur Ludovic Gicquel, chef du pôle de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du CHU de Poitiers.
Des automutilations qui, là encore, se rencontrent de plus en plus chez de très jeunes filles. Elles ne sont pas pour autant le témoignage d'un passé traumatique « Elles traduisent ainsi un état de mal-être. Elles passent à l'acte sur leur propre corps car elles ne se sentent pas suffisamment reconnues. Leur seul objectif dans la vie est d'avoir de l'argent et d'être célèbres. Ce sont des jeunes en manque de projets, d'engagements » , analyse le Pr Xavier Pommerau.
Autant de troubles qui traduisent le mal-être chez les plus jeunes. Ils seraient ainsi, entre 10 et 15 %, à traverser des moments très difficiles, rappelait Marie-Rose Moro dans son rapport. « Mission bien-être et santé des jeunes » , de novembre 2016. Pourtant, même si la pédopsychiatrie s'est démocratisée, certaines familles hésitent encore à faire appel aux professionnels par peur de la stigmatisation. « Les patients arrivent dans nos cabinets quatre ans après l'apparition des premiers symptômes » , affirme le Pr Maurice Corcos, qui dirige le département de pédopsychiatre de l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris. Or, comme pour nombre de pathologies, plus la prise en charge se fait tardivement, plus elle sera difficile à soigner.
Les automutilations ont explosé : en vingt ans, cette pratique a augmenté de plus de 300 % chez les jeunes

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info+
référence étude citée : Global burden of mental disorders among children aged 5–14 years
Marie Laure Baranne 1, Bruno Falissard 1
1.CESP, INSERM U1018Université Paris-Saclay, Université Paris-Sud, UVSQ, APHP Paris France
Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health December 2018
https://capmh.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13034-018-0225-4