vendredi 5 septembre 2014

En Corée du Sud, la mode des fausses funérailles

En Corée du Sud, la mode des fausses funérailles -
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Par Caroline Piquet le 02/09/2014
Des entreprises proposent aux Sud-Coréens d'organiser de fausses funérailles pour leur redonner goût à la vie. Portrait funéraire, cercueil, lettre d'adieu, tout est fait pour que le participant vive «l'expérience de la mort».

Goûter à la mort pour mieux vivre. C'est ce que proposent en substance des entreprises sud-coréennes depuis le début des années 2000. Le service rendu aux clients: organiser leurs fausses funérailles et simuler leur mort pour leur redonner goût à la vie. Cette expérience inédite est généralement proposée par des entreprises de pompes funèbres qui cherchent à redorer leur image.
La fausse cérémonie mortuaire peut se dérouler en plein air ou dans une grande salle fleurie dans laquelle des rangées de cercueils en bois se succèdent. Là, les participants se font tirer leur portrait (funéraire), enfilent une robe traditionnelle avant de rédiger leur testament ou une lettre d'adieu adressée à leurs proches. Une fois devant leur cercueil, les clients lisent leurs dernières volontés à voix haute. Puis arrive l'heure fatidique: à la lueur des bougies, les participants s'allongent dans le cercueil qui se referme sur eux. L'expérience dure entre 5 et 10 minutes.
Séance de fausses funérailles au Hyowon Healing Center (institut de guérison). Crédits photo: hwhealing.com/SJ News
«Quand ils ont cloué le cercueil, j'ai vraiment eu l'impression d'être morte», témoigne Baek Kyung-ah, dans le Financial Times . «Jusqu'ici, la mort me paraissait lointaine, mais à présent, je pense que je dois vivre une meilleure vie». D'autres, au contraire, n'apprécient pas du tout l'expérience. «J'avais déjà peur de mourir, mais si on ne me fait encore plus penser à la mort, ça va finir par me faire vraiment mourir. Toute cette négativité, c'est effrayant», explique une participante interrogée dans l'émission L'Effet Papillon sur Canal+.
«C'est une manière de se laisser aller», raconte l'entrepreneur Jung Joon, directeur d'une entreprise de pompes funèbres à Séoul qui facture 25 dollars la séance mortuaire. «Ensuite, vous vous sentez revigoré et vous êtes prêt à reprendre votre vie à zéro», explique-t-il dans le Los Angeles Times . Plus spirituel, Kim Hi Ho, dirigeant de l'Institut Happy Dying (mourir heureux) voit davantage cette expérience comme une invitation à la méditation. «Les participants peuvent réfléchir à leur vie et prendre conscience que la vie est belle», dit-il au magazine Vice , en précisant que ses cercueils en bois disposent de plusieurs trous pour permettre aux «défunts» de respirer. Ce dernier assure qu'il reçoit environ 300 clients par mois.
Crédits photo: hwhealing.com/SJ News
Si on en croit leurs organisateurs, ces stages permettraient de faire de la prévention au suicide alors que le pays enregistre le taux le plus élevé parmi les pays de l'OCDE (33,8 pour 100. 000 personnes en 2009), deux fois supérieur au taux français. La rapide industrialisation du pays, les difficiles conditions de travail et la pression sociale autour de la réussite expliquent en partie cette hausse constatée ces dernières années, le nombre de passage à l'acte ayant doublé sur la dernière décennie.

Améliorer la performance des entreprises

Ces enterrements factices ont déjà séduit des dizaines de milliers de Coréens, qu'ils soient étudiants, actifs ou retraités. Le Financial Times explique même que des entreprises comme Samsung et Hyundai Motor ont inscrit leurs salariés à ces programmes. «En ayant recours à ces stages, les entreprises pensent pouvoir améliorer l'efficacité de leurs employés en leur proposant quelque chose de spectaculaire et d'intense qui leur redonnerait goût à la vie», analyse le sociologue Tanguy Châtel interrogé par Le Figaro. Ce genre de pratiques est en fait un outil managérial. Rien d'étonnant quand on sait qu'on est dans une société obsédée par la performance et la réussite».
Cet engouement pour ce type d'expériences rappelle le succès du salon de la mort en 2011 à Paris, où les visiteurs pouvaient essayer leur cercueil. «Il y a toujours eu une fascination pour la mort, explique encore Tanguy Châtel. Déjà, tout petits, les enfants s'enterrent dans le sable à la plage. Plus grands, certains s'amusent à aller dans les cimetières la nuit pour se faire peur». Mais «sous le poids des technologies et de la science, on a été invité à repousser les limites encore plus loin, au point de nier la mortalité. Tout cela me paraît très artificiel. Ce n'est pas parce que vous êtes allongé dans un cercueil que vous comprenez mieux la question de la mort», soupire le spécialiste.