mardi 1 juillet 2014

Entretien Michel Debout "Plus que le droit de mourir, le droit de vivre dans la dignité jusqu'à la fin"

Entretien

"Plus que le droit de mourir, le droit de vivre dans la dignité jusqu'à la fin"


Propos recueillis par Elodie Emery

Deux affaires se télescopent dans l’actualité, deux cas qui ravivent le débat sur l'euthanasie et sur ce fameux droit à "terminer sa vie dans la dignité" dont François Hollande avait fait une promesse de campagne. Michel Debout est médecin et milite activement pour la prévention du suicide. Il livre à "Marianne" son point de vue tout en nuances sur ces questions délicates.

Plongé depuis six ans dans un état végétatif suite à un accident, Vincent Lambert, 37 ans aujourd’hui, est au centre d’une véritable tragédie familiale. Le 24 juin dernier, le Conseil d’État a jugé légal l’arrêt des traitements, comme le souhaitent notamment son épouse et l’équipe médicale à son chevet. Mais ses parents, opposés à cette décision, se sont tournés vers la Cour européenne des droits de l’Homme, laquelle a ordonné de différer l’arrêt des traitements en attendant qu’elle rende son jugement. En parallèle, le 25 juin, la Cour d'assises de Pau a acquitté le docteur Bonnemaison, poursuivi pour l'empoisonnement de sept personnes âgées en fin de vie. Entretien avec Michel Debout, professeur de médecine et spécialiste du suicide.

Marianne : Près de neuf Français sur dix se disent favorables à une loi autorisant l’euthanasie (1), ce qui ressemble à de l’unanimité. Pourtant, quand des cas pratiques se manifestent, comme celui de Vincent Lambert ou du médecin Nicolas Bonnemaison, les passions se déchaînent et les décisions se prennent avec peine et cahots. Comment l’expliquer ? Michel Debout : C’est une question de représentation des situations. Ceux qui se disent favorables à l’euthanasie veulent souvent dire que s'il s'agit de mourir, autant mourir accompagné et sans douleur, plutôt que seul et dans la douleur. Il est évident que 100% des Français pourraient le dire ! Mais s'il s’agit d’accompagner un proche en fin de vie, c'est tout autre chose. On est alors traversé par un double souhait contradictoire : celui que ça s’arrête, pour lui, pour qu’il ne continue plus à souffrir. Dans le même temps, le souhait que jamais il ne parte, c'est la marque de l'attachement qu'on lui porte. Accompagner quelqu’un en fin de vie est extrêmement difficile, les familles sont très éprouvées psychologiquement et affectivement.
 
Que vous ont inspiré les cas très médiatisés de Vincent Lambert et du docteur Bonnemaison ?
Loin de moi l'idée de considérer le docteur Bonnemaison comme un criminel. En tant que praticien, ce qui m'a choqué dans ces deux affaires, c'est que l'on renvoie la réponse à la seule conscience du médecin. Eric Kariger, le médecin de Vincent Lambert, a affirmé : « Mon seul juge, c’est ma conscience ». Et le docteur Nicolas Bonnemaison a dit lui aussi avoir agi « en conscience ». Mais c’est une conception que l’on apprenait en Faculté de médecine il y a soixante ans ! A l’époque, l’acte médical était défini comme la rencontre d’une conscience et d’une confiance. On ne laissait au patient que la confiance. On ne lui disait pas par exemple qu’il avait un cancer ! On apprenait même aux étudiants la liste des mots à ne jamais employer devant un patient. La Loi Kouchner de 2002 a mis définitivement fin à ces pratiques en plaçant au cœur de l’acte médical l’obligation d’informer le patient, pour lui permettre de reprendre la main sur sa maladie. La conscience doit absolument être partagée, entre celle du médecin, celle de l’entourage et évidemment celle du patient quand il peut s’exprimer. D’où l’importance de se référer, quand c’est possible, à ce qu’il a pu dire quand il était en état de le dire.
 
Ces « affaires » ne révèlent-elles pas également des lacunes dans la législation française ? Faut-il amender la loi Leonetti ou, comme l’avait promis le candidat Hollande, mettre en place une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » ?
Comme il est impossible de se représenter sa propre mort, on peut imaginer qu’elle pourrait être heureuse et se dérouler dans des conditions idéales. Cette aspiration au « suicide assisté » cache en fait une grande angoisse face à la mort ! Comme s’il pouvait y avoir une « belle » mort, une mort « digne ». Mais toute mort est digne parce que c’est la personne humaine qui est digne. Ce sont les conditions de sa mort qui peuvent être indignes, voire même barbares. Séparer la fin de vie de la vie elle-même n’a pas de sens. Il y a une vie, qui continue jusqu’à la fin. Ce qu’il faut, c’est se battre pour que chacun puisse vivre dans la dignité.
 
Donc, pour vous, il n'est pas nécessaire d’amender la loi ou d’en voter de nouvelles ?
Je suis un militant de la prévention du suicide. Je ne suis pas pour obliger les gens à vivre, mais pour les aider à trouver leurs raisons, à eux, de vivre. Pour les aider à ouvrir le champ des possibles. L'acte du suicide est un moment de grande détresse et d’ambivalence ; différentes pensées viennent à se percuter. Évidemment, à la fin, c’est la personne qui décide et je ne dirai jamais que c’est une faute morale de se suicider. La société doit avoir pour message d’aider les personnes à faire des choix dans la vie plutôt que faire le choix de la mort. Certains arrivent à vivre leur fin de vie de façon positive. Une loi qui organiserait l'aide médicalisée au suicide transmettrait le message très négatif que la mort peut être une solution comme une autre... Imaginez l’effet que cela pourrait avoir sur un adolescent convaincu du non-sens de son existence !
 
Mais est-il normal qu’un médecin ou que l’entourage se retrouvent devant un tribunal s’ils ont aidé quelqu’un qui avait émis le souhait de mourir, parce qu’il était atteint d’une maladie incurable et irréversible par exemple ?
Ils ne vont au tribunal que si quelqu’un se plaint… Je pense que dans certains cas une telle aide peut se justifier. Il faudrait imaginer une loi qui rappelle les grands principes et propose des repères fondateurs : l’irréversibilité de la maladie en cause, l’état de souffrance physique et morale, les vœux de la personne, l’échange avec la famille… Dans ces cas, on peut imaginer d’élargir la loi Leonetti, dont les fondements sont satisfaisants selon moi, à une  « interruption de la vie ». Mais sans aller jusqu'au « suicide assisté » ou à l'euthanasie. Aujourd'hui la société véhicule l’idée que la vie, c’est la performance, l'excellence. En dehors de ces références, point de salut ! Parmi ceux qui se disent favorables à l'euthanasie ou au suicide assisté, souvent pour des raisons généreuses et humanistes, certains pourraient en fait défendre un principe contraire aux valeurs qu'il portent : la valeur de la vie humaine, plutôt qu'une vision essentiellement matérialiste, voire capitaliste de l'existence.


(1) Sondage BVA paru jeudi 26 juin dans Le Parisien/Aujourd’hui en France.