mardi 8 octobre 2013

PRESSE : Suicide en Polynésie française : 1ère cause de mortalité chez les jeunes

Suicide en Polynésie française : 1ère cause de mortalité chez les jeunes 

En Polynésie, le suicide reste la première cause de décès, dépassant même les accidents de la route. Près de 230 tentatives sont recensées par an et environ 30 à 50 personnes mettent fin à leurs jours. Une petite baisse a toutefois été observée durant la période 2008 – 2010, grâce entre autre à l’ouverture du Centre de Prévention du Suicide de Polynésie Française, mais surtout aux actions de l’association S.O.S Suicide fondée en 2001 et présidée par le docteur Stéphane Amadeo. Quels sont les remèdes à apporter à ce mal-être ? et surtout comment déceler les symptômes d’un mal qui « ne se dit pas » ?

Le suicide concerne principalement notre jeunesse polynésienne. D’après des statistiques émanant de diverses structures publiques, un peu plus d’une trentaine de personnes décèdent chaque année. La plupart ont moins de 25 ans. Des jeunes donc, mais les chiffres avancés divergent selon les sources. Un ancien agent des services sociaux donnait son point de vue : « il ne faut pas se fier aux chiffres.(…) parce qu’on ne sait pas vraiment combien ont pu être décelés à temps. De plus, ce n’est pas si évident de comptabiliser le nombre exact. Entre ceux qui essaient de mettre fin à leur jour et qui n’ont pas été jusqu’au bout et ceux qui ont réussi, les chiffres semblent amalgamer le tout. En réalité, il y en a beaucoup plus mais on n’en parle pas beaucoup.» De son côté, le docteur Stéphane Amadeo, spécialiste de la question, annonçait des chiffres différents : 93 décès sur la période 2008-2010 concernant particulièrement les adolescents et les jeunes adultes.

« J’ai voulu mourir car on ne me comprenait pas… »

C’est par cette phrase éloquente que Maeva de la Presqu’île a voulu apporter son témoignage avant d’expliquer les raisons qui l’ont incitée à intenter à sa vie : « …j’avais 20 ans. A la maison, il y avait toujours des conflits et pour ne rien arranger, mes notes scolaires chutaient à chaque trimestre. En vérité, j’en avais assez des remontrances et de l’absence de communication avec mes parents.(…) je voulu leur dire que je n’étais plus bien du tout et que je voulais aller chez ma tante à Puna’auia pour une semaine, afin de me calmer. Mais je crois qu’ils n’avaient pas compris mes signaux ou alors je n’ai pas su leur faire comprendre. Je suis donc passée à l’acte. J’ai pris des médicaments en grande quantité puis je me suis allongée dans mon lit en attendant que toute cette souffrance disparaisse à tout jamais.» Silence, puis elle reprend : « Je me suis réveillée aux urgences avec des tuyaux partout et ma mère qui se trouvait près de moi…j’avais compris que j’étais encore là.(…) c’est le ras-le bol qui m’a poussé à faire ça (…)J’ai voulu mourir car on ne me comprenait pas ! »

Rose, 25 ans, vit sur la côte Est. Elle se souvient encore de ce jour-là : « Je n’avais pas de travail depuis 3 ans. Avec deux enfants en bas-âge, j’ai essayé de me battre mais la réalité de la vie m’avait rattrapée. Je ne pouvais décemment pas compter sur les affaires sociales tous les jours, mais comment faire quand tu déposes des tonnes de curriculum vitae et que tu continues à attendre ? J’étais seule…trop seule. J’ai déposé mes enfants chez un membre de ma famille, puis je suis revenue chez moi pour ouvrir le gaz et mourir sans souffrir. C’est l’arrivée imprévue de ma cousine, tenant dans ses bras mon fils qui avait 3 ans à ce moment-là, qui m’a ramené à la raison. Il faut savoir que lorsqu’on arrive à ce point-là, votre esprit est imperméable à tout ce qui vient de l’extérieur, mais j’ai pu le faire. Ma cousine s’est précipitée sur moi et m’a donné des claques pour me réveiller, mais surtout pour me corriger. » Cette expérience à véritablement marqué l’existence de Rose qui a pu remonter la pente, avec le temps et le soutien de sa famille qui a fini par l’écouter.

En 2008, l’association SOS Suicide a ouvert une ligne verte, le 444 767 permettant au public de signaler une tentative ou des soupçons. La structure est soutenue financièrement par le Pays dans le cadre des programmes élaborés par l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé. Il s’agit, entre autre, d’actions de formation et de sensibilisation sur tout le territoire polynésien, et de programmes d’identification des facteurs de risques de suicide.

Déceler une volonté de suicide

Selon l’association SOS Suicide, l’intention suicidaire n’apparaît pas subitement. Les personnes qui pensent passer à l’acte donnent généralement des signes qui peuvent alerter les amis proches ou parents, de leur désarroi et de leurs intentions. Parmi ces signes, les messages dits « directs et indirects » du genre : « Vous seriez tellement mieux sans moi. » ou encore « Je suis inutile ». Les plus explicites sont : « J’ai tout râté » et « Fiu de la vie ! ». L’aspect comportemental ne doit pas être négligé non plus : l’isolement, les changements d’humeur, l’instabilité psychologique, la mise en ordre des affaires personnelles, et le plus troublant, un intérêt marqué pour les armes ou les médicaments.

Si, pour beaucoup, le suicide est un problème d’ordre mental, l’association SOS Suicide veut tordre le cou aux préjugés : « Le suicide est un problème complexe déterminé par l’interaction de plusieurs facteurs. La majorité des personnes suicidaires souffrent de dépression, toutes vivent une grande détresse, une réelle détresse. »

Comprendre ceux qui veulent passer à l’acte

Dans ses recommandations, l’association SOS Suicide préconise le dialogue si un cas se présentait subitement. « Nous avons tous, à bien des égards, les qualités humaines qui nous permettent de venir en aide à une personne suicidaire. Chacun de nous peut être appelé à agir dans son milieu, auprès d’un ami, d’un parent, d’un collègue, etc. Ces quelques règles de base faciliteront notre intervention. »

Parmi les conseils qui ont permis d’éviter bien des drames, celui de prendre la personne au sérieux en évitant de se moquer d’elle, de moraliser ou de la mettre au défi. Le fait de lui faire part de son inquiétude à son sujet et de l’écouter en lui assurant d’une réelle compréhension à l’ampleur de sa détresse, peut s’avérer salutaire pour le principal concerné. Parfois le simple fait d’écouter une personne peut tout changer.

En terme de traitement, le docteur Stéphane Amadéo, a évoqué la possibilité d’utiliser l’utilisation des soins traditionnels asiatiques qui sont des soins corporels pouvant aider les personnes qui ont une tendance suicidaire à se « reconsidérer ». Il s’agit de massages, d’acupression et de séances de tai-chi. Cette approche pourrait avoir un intérêt dans la diminution des récidives suicidaires, c’est-à-dire des personnes qui ont tendance à vouloir se faire du mal, à mépriser leur corps. Mais d’ici là, le Pays s’est fixé comme priorité de financer des programmes spécifiques d’aide et de soutien aux 15-44 ans, qui figurent parmi les premières victimes de ce « pe’ape’a rahi » qui plonge les familles polynésiennes dans le malheur chaque année.

TP