jeudi 22 août 2013

Les psychiatres tentent d’expliquer les « suicides altruistes »

Les psychiatres tentent d’expliquer les « suicides altruistes »
20/8/13 http://www.la-croix.com/Actualite/France/Les-psychiatres-tentent-d-expliquer-les-suicides-altruistes-2013-08-20-1000402

Devant l’hôtel de Bordeaux dans lequel un couple et ses deux enfants ont été retrouvés morts, lundi 19 août (Bernard-Salinier/ABACA).

Un drame qui ressemble, d’après les premiers éléments, à ce que les psychiatres appellent les « suicides altruistes », un parent tuant sa famille avant de se suicider, dans l’idée d’échapper à un monde jugé invivable et d’en sauver les autres.
Avec cet article

C’est un paroxysme de violence, l’acte le plus brutal dans l’univers supposé le plus protecteur. Lundi 19 août, une famille entière, un couple et deux adolescents, a été retrouvée morte, dans une résidence hôtelière de Bordeaux. Une note montrant l’intention suicidaire aurait été retrouvée sur place.

 « Le fantasme de la mort à plusieurs » 

Cinq à six fois par an, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, un drame de ce type se déroule, un parent tuant l’ensemble de sa famille avant de se suicider. Particulièrement saisissants, ces faits « divers » dépassent l’entendement. Pourtant, à écouter Roland Coutanceau, psychiatre, une certaine logique apparaît dans cette folie meurtrière. 
 « L’auteur est généralement quelqu’un de profondément dépressif, en instance de séparation ou en situation de chômage et de surendettement », commence-t-il, précisant que, malgré la crise, le nombre de ces drames n’est pas en augmentation. « On est déprimé pour des raisons affectives ou psychosociales », poursuit-il, usant de ce « on » dérangeant. 
 « On se sent pris au piège, alors on pense au suicide. Et là, quand on se projette dans ce que vont devenir ses enfants, naît le fantasme de la mort à plusieurs. On se dit : “Ils ne vont pas y arriver sans moi. La seule solution est que je les suicide.” » Si la préoccupation originelle est « normale » (l’inquiétude sur le devenir des enfants), elle devient « totalitaire » chez des personnes « profondément égocentriques, immatures, fusionnelles, qui considèrent l’autre comme une partie d’eux-mêmes », poursuit le psychiatre.

 « C’est un acte d’amour » 

Pour désigner ces drames, les experts utilisent, du bout des lèvres, un terme particulièrement étrange, à défaut, concèdent-ils, d’en trouver un autre : celui de « suicide altruiste ». « Cela peut sembler “fou”, mais ces parents tuent dans l’idée de préserver les enfants de souffrances à venir, c’est un acte d’amour, explique Gérard Rosselini, président de l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires. Il ne faut pas confondre ces actes avec les crimes passionnels, où l’on tue son conjoint ou ses enfants pour se venger, après une séparation, par exemple. » 
En 2012, le film  À perdre la raison  mettait en scène un de ces « suicides altruistes », s’inspirant de l’histoire de Geneviève L’Hermitte, mère de famille belge qui avait tué ses cinq enfants au couteau avant de retourner l’arme contre elle, sans parvenir à se tuer. Réveillée quelques heures plus tard par la douleur de ses blessures, elle avait prévenu la police. Celle-ci avait alors trouvé une lettre, adressée à sa sœur, dans laquelle la mère qualifiait sa vie « d’enfer » : « Il n’y a pas de solution au problème. J’ai pris la décision de partir avec mes enfants, très loin et pour toujours. » Au procès, elle ajoutera : « Je ne voulais pas leur faire de mal. » Elle a été condamnée à la perpétuité.

 « Mettre des mots, c’est déjà un dépassement » 

Pour les avocats, défendre en justice ces meurtriers « survivants » est bien sûr très compliqué. « Les actes criminels qui précèdent le suicide ont la même origine que celui-ci, à savoir une angoisse existentielle telle qu’elle annihile tout élan de vie. C’est ce qu’il faut faire comprendre, je crois, dans ces drames », explique Me  Léon-Lef Forster qui, en quarante ans de carrière, a croisé quelques-uns de ces cas. 
Il se souvient d’une femme, psychologue, qui avait tué ses deux enfants par somnifère puis par noyade, et dont la tentative de suicide, ensuite, avait échoué. Une fois interpellée, elle n’avait même pas été capable d’évoquer les faits avec lui. « Sa culpabilité était beaucoup trop aiguë, explique-t-il. Mettre des mots, c’est déjà un dépassement. Il faut du temps pour en arriver là. Moi, au début, je ne lui ai pas posé de question, pour ne pas l’accabler. Ma seule préoccupation était d’aider cette personne à survivre. » Après un an de préventive et à peine une semaine après sa sortie, la femme s’était suicidée, incapable de vivre avec ce qu’elle avait fait.

 « La mort se colore d’une teinte mystique » 

 « Lors du passage à l’acte, explique Roland Coutanceau, l’auteur n’est pas inconscient, mais il est dans une forme de conscience un peu barbouillée, brumeuse, comme dans un rêve. La mort se colore d’une teinte mystique. Le retour à la réalité, quand on a échoué à se tuer, est évidemment d’une violence inouïe. Mais l’erreur serait de penser que l’on ne peut rien faire pour ces gens, au contraire. Chez eux comme chez les personnes suicidaires en général, la parole libère et peut enrayer le déclenchement du processus vers la mort. » 
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Les « faits commis dans le contexte familial » restent très rares

En chiffres: en 2011, onze enfants mineurs ont été tués par leur père en même temps que leur mère, dans six affaires distinctes. Parmi les six criminels, quatre se sont ensuite suicidés et un a tenté de le faire.
Treize enfants ont été victimes de l’un de leurs parents lors d’une séparation difficile, dans neuf affaires distinctes. L’autre parent, souvent la mère, n’a pas fait l’objet d’une tentative d’homicide ou en a réchappé.
Profil des auteurs: l’auteur est le plus souvent un homme, marié, âgé de 41 à 60 ans et sans activité professionnelle. Il commet son acte à domicile et sa principale motivation est la non-acceptation de la séparation.
Quand l’auteur est une femme, elle est le plus souvent âgée de 31 à 50 ans. La principale cause du passage à l’acte est la volonté de mettre fin aux violences subies. Les auteurs femmes sont en effet souvent des victimes de violences conjugales.
FLORE THOMASSET