jeudi 20 juin 2013

DEBAT PUBLIC : LA REPRESENTATION DU SUICIDE : Les photos suicidaires du magazine Vice

Les photos suicidaires du magazine Vice

Les auteures au bord du suicide font scandale

Le mercredi 19 juin 2013 sur http://www.actualitte.com/international/les-photos-suicidaires-du-magazine-vice-43206.htm

Ce n'est pas la première fois que Vice se distingue par son goût douteux. La publication de photos représentant des auteurs féminins sur le point de se suicider a immédiatement fait scandale, au point qu'elles ont dû être retirées de la toile. Évidemment, en cherchant un peu on finit par mettre la main dessus. 

Le scandale n'a donc pas tardé à éclater. En même temps, le contraire eut été étonnant. Pour ses pages mode, Vice a décidé de faire quelques mises en scène tout à fait dans la ligne éditoriale d'un magazine pas avare de provocation. On y voit des auteurs féminins bien connus, Sylvia Plath par exemple, sur le point de se suicider.

À une exception près, tous les auteurs retenus ont en effet mis fin à leurs jours. L'ensemble des photos avait pour titre « Last Words », soit les derniers mots. Ces photographies ont été réalisées par Annabel Mehran et publiées en ligne lundi. Dès mardi matin, elles ont été retirées suite à l'émoi suscité. Elles demeurent toutefois dans la version papier et plusieurs sites ont pris soin de faire des captures d'écran.

On y trouve aussi l'historienne américaine Iris Chang un pistolet dans la bouche. Dans la « vraie vie », l'historienne a mis fin à ses jours à l'âge de 36 ans. Utiliser son image pour faire la promotion de vêtements dans des pages mode n'est pas vraiment un hommage respectable.

Surtout quand les vêtements en question se transforment en arme pour mettre fin à ses jours. On doute que les marques concernées aient apprécié.

Parmi les critiques formulées ça et là à l'encontre du magazine, certains reprochent d'offrir une vision « sexy » du suicide, d'autres expliquent que de telles images encourageraient à passer à l'acte. Enfin, nombre de personnes estiment qu'il est honteux de représenter ainsi des personnes réelles.

Vice a formulé ses excuses, tout en justifiant son approche, la qualifiant d'artistique.
Sources : LA Times , Fox News , ABC News , Salon

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La délicate relation entre suicide et mode: le cas de Vice magazine avec « Last Words »

Résumé des faits: Vice Magazine a généré d’énormes réactions hier en publiant une série de 7 photos de Annabel Mehran et de la styliste Annette Lamothe-Ramos. Intulé « Last Words« , le shooting présente des modèles « jouant » les suicides (ou tentatives de suicide) de femmes de lettres américaines (Virginia Woolf, Iris Chang, Dorothy Parker, Charlotte Perkins Gilman, Sylvia Plath, Sanmao, et Elise Cowen). L’article a depuis été retiré du site de Vice, mais les clichés sont toujours disponibles dans la version print.
© Vice
Jenna Sauers a tiré à boulets rouges sur Vice Magazine depuis le site Jezebel, accusant le shooting de n’être qu’un prétexte cynique pour « épater les bourgeois » (en français dans le texte). Autre élément qui est mis en cause par la plupart des critiques: le fait qu’à côté de chaque image, on puisse cliquer sur les différentes pièces utilisées pour…les acheter.
Le web s’est évidemment pris d’une fièvre terrible et on peut regrouper les différents camps. Il y a ceux qui ne veulent absolument pas qu’on traite du suicide dans les shootings de mode. Il y a ceux qui au contraire pensent qu’un travail plus profond mériterait d’être fait et que ce shooting n’est simplement pas au niveau. Il y a ceux qui pensent que ce travail a au moins permis d’ouvrir le débat sur le sujet.
C’est peut être là ma position (je dis bien peut être). Car dans la mode, notamment dans ses déclinaisons digitales (instagram, blogs etc.), il y a un paradoxe qui semble difficile à surmonter
« Aucun artiste n’est jamais morbide. L’artiste peut tout exprimer. » (Oscar Wilde)
A priori, si l’on reste au niveau de l’art, alors effectivement il semble intolérable de mettre une censure à un quelconque niveau; après tout, la mode se doit d’explorer les interdits; elle est un catalyseur, une manifestation concrète de tendances sous-jacentes. Les tabous sont rares; et après tout, la plupart des artistes visées dans le shooting de Vice n’ont eu de cesse de parler de la mort dans leurs ouvrages: devait-on pour autant les censurer?
Le problème est que la mode est devenu un énorme business, notamment sur le web. A la différence d’un magazine papier, où les clichés auraient pu rester dans une section centrale, où le lecteur aurait du prendre ses responsabilités pour acheter le magazine, voici que ces images se retrouvent mises en ligne et à la portée du premier quidam. Entourées de balises d’outils d’analyse, encerclées de bannières et de publicités, ces photographies ne sont plus dans un écrin de musée mais dans une pompe à trafic, une pompe à big money. Et effectivement: pour les familles de ces femmes qui n’ont rien demandé, c’est intolérable, dépréciatif, et quelque peu amoral. Du coup, comment bien faire un travail d’artiste de la mode en ligne? Pas si simple. Les médias en ligne ne sont pas conçus pour ça à ce stade.
Le conservatisme dans la mode réduira-t-il le taux de suicide?
Autre piste de réflexion: la plupart des réactions ont été au moins aussi violentes que l’article de Vice. Et chose étonnante: au lieu d’étoffer le débat, les outragés n’ont eu de cesse de mentionner des recours curieux: Dieu, la morale, le bon goût. Dieu voulait-il des compléments alimentaires? Dieu voulait-il du web? Pas si évident de répondre; il n’empêche qu’en restant droit dans nos bottes, on en arrive à des compromis de société faisant la part belle aux particularismes de chacun. Si le suicide (ou la mort en général) doit être exclu des magazines et des shootings, doit-on demain interdire les mises en scène par exemple d’handicapés? Cet effritement de la liberté de ton est la conséquence d’une superficialité des rédactions de mode qui ont oublié la profondeur pendant des années; mais on en arrive déjà à des carcans ridicules: il faut désormais des quotas de gros, des quotas de moins gros, une dose de diversité, du politiquement correct, des gens en bonne santé et qui rient plutôt que des gens qui pleurent.
La vérité est que la mode est tout aussi imparfaite que nous autres, humains en perdition; il serait peut être temps de militer pour plus de ces positionnements audacieux, mêmes imparfaits. Avec une mention plus intéressante qu’un résultat sur Google: « à l’appréciation de chacun ».