jeudi 16 mai 2013

Surpopulation carcérale : "Un problème dans la plupart des prisons européennes"

Surpopulation carcérale : "Un problème dans la plupart des prisons européennes"du 15/05/2013 sur http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/surpopulation-carcerale-un-probleme-dans-la-plupart-des-prisons-europeennes-15-05-2013-1666791_56.php




Les prisons françaises sont surpeuplées. Pour résoudre ce problème de taille, va-t-on construire de nouvelles prisons ? Va-t-on instituer la libération conditionnelle d'office pour tous les condamnés à des peines privatives de liberté ? Quid de l'abolition annoncée des peines planchers et de l'adoption de la contrainte pénale appliquée dans la communauté, nouvelle peine de probation ?

Rapport Raimbourg versus conférence de consensus

Ces questions attendent leurs réponses depuis que les conclusions du jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive ont été remises au Premier ministre en février. Tout l'enjeu sera d'arbitrer entre les solutions proposées par le jury de consensus et celles que préconise Dominique Raimbourg dans son rapport déposé en janvier 2013, en droite ligne des recommandations du Conseil de l'Europe. Concernant, par exemple, la libération conditionnelle d'office, le rapport du député PS de Loire-Atlantique préconise de n'en faire bénéficier que les personnes condamnées à des peines inférieures à 5 ans, sauf si le juge d'application des peines s'y oppose. Il propose par ailleurs de "contraventionnaliser" certaines infractions, telles que la consommation de cannabis et la conduite sans permis ou sous l'emprise de l'alcool.

Plus de suicides chez les auteurs d'agressions sexuelles

À l'heure actuelle, la France se trouve dans une "situation médiane", souligne un rapport du Conseil de l'Europe (CE) sur la surpopulation carcérale publié début mai. Sauf sur le registre du suicide en prison. Le taux de suicide des détenus, soit 15,5 pour 10 000, est beaucoup plus élevé que dans d'autres pays, statistiquement comparables. En Allemagne, il est de 8,1 pour 10 000 et donc deux fois plus faible. En Angleterre, il est de 6,8 et en Italie de 8 pour 10 000. À quoi doit-on attribuer ce chiffre ? À un problème de gestion des prisons ? À notre type de délinquance ? À la sévérité des sanctions ? "On observe que les suicides sont plus fréquents chez les prévenus que chez les condamnés, ce qui veut dire que si le taux de prévenus est plus important dans tel pays, il y aura plus de suicides", décrypte le démographe Pierre-Victor Tournier, auteur de La prison, une nécessité pour la République (Buchet-Chastel, février 2013).
Le risque suicidaire augmente avec l'âge, mais il est aussi lié à la nature des faits qui ont conduit la personne en prison. "Par exemple, on observe un taux de suicide plus important chez les auteurs d'agressions sexuelles, beaucoup plus nombreux dans les prisons françaises qu'en Allemagne, car les sanctions sont plus sévères dans notre pays", commente Pierre-Victor Tournier.

Des chiffres à manier avec prudence

En revanche, avec une densité carcérale (rapport entre le nombre de détenus et le nombre de places) de 113,4, la situation n'est pas pire en France qu'ailleurs. En septembre 2011, les prisons européennes étaient exploitées au maximum de leur capacité, avec une moyenne de 99,5 détenus pour 100 places, souligne le rapport. Et d'en conclure : "La surpopulation est un problème dans la moitié des administrations pénitentiaires européennes." "Et certainement ailleurs aussi", ajoute Pierre-Victor Tournier.
Car si l'on observe des écarts importants entre par exemple l'Italie, où l'on compte 147 détenus pour 100 places, et l'Allemagne, qui a 91 détenus pour 100 places, ou encore la Roumanie, où l'on dénombre 89 détenus pour 100 places, la réalité est tout autre. "Ces chiffres ne veulent pas dire que ces pays ne connaissent pas de surpopulation carcérale", tempère en effet Pierre-Victor Tournier. D'une part, ces chiffres ne tiennent pas compte du fait qu'il y a des établissements surpeuplés (c'est le cas des maisons d'arrêt en France), d'autres non. En outre, la surpopulation dépend aussi de facteurs tels que la taille de la cellule, par exemple. Ainsi, seulement 4 m2 sont affectés à chaque détenu en Roumanie contre 11 m2 en France.

"Mieux vaut être détenu en Allemagne qu'en France"

Le taux de croissance des détenus tend à diminuer, mais le taux de détention (nombre de détenus pour 100 000 habitants) et donc la surpopulation carcérale interrogent. Le taux moyen de population carcérale en Europe est passé de 149 à 154 détenus pour 100 000 habitants en 2011, mais le nombre de détenus n'augmente pas et ne diminue pas de la même manière dans tous les pays. Là encore, on note des écarts importants : de 72 en Suède à 550 en Russie. En France, ce taux est de 111. "De nombreuses administrations pénitentiaires restent ainsi confrontées au problème de trouver des solutions pour lutter contre la surpopulation", commente le rapport du CE.
"La France est beaucoup plus proche des pays du sud de l'Europe que des pays du nord. Or, il nous faut regarder vers le haut aussi au niveau géographique, et considérer de près la situation de l'Allemagne, de la Finlande ou de la Suède", préconise Pierre-Victor Tournier. Notre voisin européen a en effet connu un phénomène de déflation carcérale important en 10 ans. Il connaît un taux de mortalité en prison de 22 pour 10 000 contre 37 pour 10 000 en France et 28 en moyenne en Europe. Autant dire qu'"aujourd'hui, mieux vaut être détenu outre-Rhin qu'en France", conclut le démographe.