vendredi 5 octobre 2012

SUISSE - DEBAT -SUICIDES ET MEDIA

Santé En Suisse, trois personnes mettent quotidiennement fin à leurs jours. Et les médias n'en parlent que très peu... par souci déontologique. Explications.; La presse doit-elle taire le suicide?

27 septembre 2012 - La Côte - rodolphe Haener rhaener@lacote.ch

Avec près de trois suicides par jour (1105 cas en 2009 - derniers chiffres disponibles), la Suisse tient un véritable problème de santé publique. Et à en croire l'association Stop Suicide, reconnue d'utilité publique, la presse et les médias ont aussi leur rôle à jouer dans ce phénomène tenace quoique globalement stable au niveau des statistiques. De fait, à l'heure actuelle, le Conseil suisse de la presse, via son code de déontologie auquel est astreint chaque journaliste, demande de ne relayer les cas de suicide que sous certaines conditions et avec prudence. La raison est simple: parler du suicide dans un média pourrait inciter une personne instable à passer à l'acte.

Hier, Stop Suicide présentait à Lausanne un rapport de travail sur six mois d'observation de publication d'articles relatifs au phénomène dans la presse. L'occasion de faire le point avec Irina Inostroza, chargée de projet médias.

On a vu, il y a quelques mois, les journaux télévisés français ouvrir leur édition en parlant de «vague» de suicide sur le réseau TGV pour expliquer les nombreux retards de trains. Une chose, a priori, impensable pour un média suisse...

En France, il est vrai que le code de déontologie insiste moins sur la problématique du suicide. Des voix exigent d'ailleurs la création d'un Conseil de presse français. Et puis il y a quelque chose de sensationnaliste dans le fait d'évoquer des «vagues» de suicide, c'est une manière de dramatiser l'information.

Pourtant, en Suisse, il semblerait tout de même que les langues se délient petit à petit. Les CFF n'hésitent plus à communiquer, pour peu qu'on le leur demande, le chiffre des «accidents de personne» (150 cas par année)...

Il faut être clair: nous n'interdisons pas de parler du suicide, mais nous demandons que la presse, si elle veut en parler, le fasse mieux. C'est-à-dire sans glorifier l'acte. Aussi, serait-il vraiment intéressant pour la presse de relayer chaque cas de suicide sur les rails? Nous ne le pensons pas. Nous posons d'ailleurs clairement la question: relater un cas de suicide est-il vraiment d'un intérêt public ou de l'intérêt du public?

C'est-à-dire?

Nous demandons à la presse de réfléchir si l'information est importante pour la communauté ou si elle n'a de vertu que sensationnaliste... Il faut se demander quel est l'intérêt de sortir un fait divers privé dans un but informatif... Et ce même si nous comprenons que le fait divers puisse avoir un intérêt social...

En d'autres termes, la presse peut parler du suicide mais pas n'importe comment, sans le glorifier?

Exactement. Ce qu'il ne faut pas faire, c'est de décrire la méthode employée par la personne défunte avec de nombreux détails. Ni, dans le cas de célébrités, créer d'amalgame entre le talent prétendu de la personne et sa mort. Mais plutôt insister sur le fait que la personne avait des problèmes terre à terre, et non des tensions romantiques...

Vous dites également que la presse parle des suicides mais jamais des tentatives, ou rarement.

Oui. Et il existe entre 20 000 et 25 000 tentatives par an. Il y a donc un tabou à briser: parler des idées noires et des envies de suicide; admettre qu'un individu puisse penser à la mort et surtout expliquer pourquoi il n'est pas passé à l'acte, relater l'aide qu'il a pu trouver. Un des problèmes dans la presse, c'est la dissociation entre les faits divers et les articles sur la prévention. Dans un article qui relate le suicide de quelqu'un, pourquoi ne pas en profiter pour signaler l'existence de centre d'aide ou d'association de soutien?

On pense souvent que les adolescents sont la population la plus à risque... Or les chiffres ne confirment pas ce sentiment...

Oui, la tranche 45-59 ans est celle qui passe le plus à l'acte, puis viennent les 70 ans et plus... Mais pour la tranche 15-29 ans, on dénombre tout de même un suicide tous les trois jours...

A-t-on de la peine, en Suisse, pays riche et en paix, à accepter cet état de fait, à en parler?

Il est certain qu'il existe un tabou. Mais ce tabou du suicide cache certainement celui de la dépression nerveuse et du mal-être en général...

l «Avec jusqu'à 25 000 tentatives par an, il y a un tabou à briser.»

Irina INOSTROZA Chargée de communication pour Stop suicide

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Plus de renseignements sur:

www.stopsuicide.ch[http://www.stopsuicide.ch]

Sur tout le territoire suisse, les CFF enregistrent environ 150 cas par année «d'accident de personne». Archives La Côte