vendredi 7 septembre 2012

DEBAT France : Faut-il faire du suicide une question politique ?

France : Faut-il faire du suicide une question politique ?
 
A la veille de la Journée mondiale de prévention du suicide qui aura lieu lundi 10 septembre, Michel Debout, ancien président de l'Union nationale de prévention du suicide, et Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia, cabinet de prévention des risques professionnels, partent en campagne pour défendre la création d'un observatoire des suicides.

Si le sujet crée un buzz dans l'opinion, autrement dit dans les médias, nul doute que le rendez-vous prévu avec Jean-Marc Ayrault le 12 septembre sera maintenu. Michel Debout, ancien président de l'Union nationale de prévention du suicide, et Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia cabinet de prévention des risques professionnels, militent depuis mai 2011 en faveur de la création d'un observatoire des suicides et ont rallié via "l'appel des 44" un certain nombre de signataires parmi lesquels Norbert Alter, professeur de Sociologie, le généticien Axel Kahn ou encore le psychiatre Boris Cyrulnik.
Leur argumentation tient en un point essentiel : la meilleure manière de prévenir un risque est de le connaître. Or, le suicide en France constitue, selon eux, à la fois un fléau et un tabou. Avec 240.000 tentatives de suicides par an, ces professionnels arguent qu'il s'agit là d'un problème de santé publique. "Car il ne faut pas négliger le halo de répercussion généré par cet acte. Le suicide est un tueur social", estime Jean-Claude Delgènes faisant également valoir son coût économique, social et psychique pour la collectivité.
Fait social et collectif
Le sujet est sensible et contient un paradoxe de taille : acte jusqu'à présent jugé comme individuel, voire intime, il est encore trop peu, selon ces spécialistes, reconnu comme un fait social et collectif. "Il faudra attendre Durkheim pour que le suicide s'inscrive dans une réalité sociale", souligne Vincent de Gauléjac, directeur de l'Institut de sociologie clinique également signataire de "l'Appel des 44". "Notre objectif n'est ni de chercher des responsables, ni de vouloir l'éradiquer, mais de prouver que l'acte suicidaire traduit une détresse et qu'il faut en développer la prévention. Prouver en un mot que nous n'y sommes pas insensibles", poursuit le sociologue. D'où l'intérêt de recueillir par l'intermédiaire d'un observatoire suffisamment de données fiables, qui aideraient à mettre en place des actions de prévention. Et de déterminer de façon plus fine l'impact de certaines situations personnelles, à commencer par le chômage, mais aussi les restructurations dans les entreprises, ou les situations de surendettement des ménages, ou encore de crise du logement. En clair, repérer les éléments "suicidogènes" provoqués par le fonctionnement de la société ou des organisations du travail.
Mais avec une difficulté de taille : celle de pouvoir imputer les causes du suicide à un élément particulier, alors même que celles-ci sont la plupart du temps multifactorielles.
Risque zéro
Il s'agirait déjà dans un premier temps que cet observatoire pèse de tout son poids sur un recueil plus précis de certaines données. Comme par exemple celles de la médecine légale. "Aujourd'hui le certificat de décès ne stipule pas la situation professionnelle ou familiale du défunt. Une telle information permettrait de recenser la nombre de chômeurs par exemple", défend Vincent de Gauléjac.
Certains y verront encore la manifestation d'une recherche frénétique du risque zéro dont raffole notre société. "Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide", écrivait Albert Camus en introduction du "Mythe de Sisyphe". "Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie (...) On n'a jamais traité du suicide que comme d'un phénomène social. Or, un geste comme celui-ci, se prépare dans le silence du coeur au même titre qu'une grande oeuvre. L'homme lui-même l'ignore. Un soir, il tire ou il plonge. Il y a beaucoup de causes à un suicide et d'une façon générale les plus apparentes n'ont pas été les plus efficaces ", poursuit l'écrivain qui appelle sur cette question à un "raisonnement absurde" en posant la question essentielle "y-a-t-il une logique à la mort?"
Nul doute qu'il sera difficile pour un observatoire d'y répondre.