vendredi 27 janvier 2012

ARTICLE PRESSE PARIS MATCH

actu-match | jeudi 26 janvier 2012

"Suicides, homicides: des médicaments en question

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 «Mal-être, suicides, violence sous tranquillisants...» Marc Girard, médecin et expert en pharmacovigilance, réagit au document sur les benzodiazépines paru aujourd'hui dans notre magazine en faisant le point sur les risques de comportements violents liés aux médicaments.

Notre magazine, cette semaine, met en lumière certains risques entraînés par la prise de tranquillisants ou de somnifères. Excitation, comportements déshinibés, agressivité, suicide, violence… : des effets qui s'avèrent totalement inverses à ce qu'on attend de ces médicaments. On parle alors de réactions paradoxales, dont la survenue est rare mais potentiellement grave. Quel est votre avis d'expert sur la question?
On ne connaît pas trop la fréquence exacte des réactions paradoxales. « Rare » ne veut pas dire grand-chose. Qu’il s’agisse de dompter un délire, de calmer une agitation ou une anxiété, ou encore d’adoucir une dépression, on appellera « paradoxale » toute réaction qui va en sens inverse de l’effet qu’on recherchait en prescrivant la molécule. La presse médicale a par exemple publié le cas d’une jeune femme excessivement pieuse qui se destinait à une vie religieuse fort ascétique et qui, sous l’influence d’un traitement par une benzodiazépine, s’est retrouvée strip-teaseuse dans un night club – apparemment très excitée par cette (re)conversion… du moins jusqu’à ce qu’elle arrête son médicament… Certains honnêtes pères de famille confient non sans satisfaction que leur épouse est bien plus disponible sexuellement dès lors qu’elle a pris son somnifère! Les plus spectaculaires et celles qui retiennent le plus l’attention des médias sont les actes de violence criminelle, les comportements suicidaires, les phénomènes somnambuliques.
Les benzodiazépines sont au premier rang des psychotropes prescrits en France. Un effet indésirable, même rare, peut devenir un problème de santé publique, à l’échelle de la consommation hexagonale…
Tout d’abord, je ne peux que faire état de mon scepticisme motivé relativement aux chiffres de consommation réelle. Ensuite, il y a la question du terrain : chez certaines personnes, le contrôle sur les pulsions est très précaire et il suffit de bien peu pour faire sauter les barrières. Ce n’est pas tout le monde qui, sous l’empire d’un psychotrope, va exterminer sa partenaire à coup de tournevis… Il arrive cependant qu’une fragilité psychologique préexistante ait été plus ou moins dissimulée et méconnue, d’où l’impression – qui tend à attirer l’attention des médias – d’un « coup de tonnerre dans un ciel serein ». Les sujets enclins aux réactions paradoxales montrent généralement leur hypersensibilité dès l’introduction du médicament. Il n’y a rien de très mystérieux dans l’existence même de telles réactions : le cerveau humain est un organe complexe et lorsqu'on commence à vouloir jouer pharmacologiquement sur les réactions psychologiques, c’est un peu l’image de l’éléphant dans un magasin de porcelaine. A dire vrai, toute substance qui agit sur le système nerveux peut provoquer de telle réactions. J’en veux pour exemple l’alcool : certains se mettent à débloquer dès qu’ils en boivent même une très faible dose et d’autres deviennent méchants ou agressifs quand ils ont beaucoup bu au lieu de rigoler bêtement ou d’aller dormir.
A la différence importante qu'on n'absorbe pas d'alcool dans l’intention de se soigner…
Si des consommations aussi courantes (du moins dans un pays comme le nôtre) que celle d’un Ricard, d’un demi ou d’un muscadet peuvent entraîner des réactions psychiques dommageables et spectaculaires, raison de plus pour ne pas jouer avec le feu en prétendant « soigner » des émotions banales avec des agents pharmacologiques extrêmement actifs sur le système nerveux.
Les Français dépassent largement la durée recommandée pour les benzodiazépines (7 mois en moyenne au lieu de 3), comme l’a rappelé l’Afssaps ce mois-ci. Or l'anxiété ou l'insomnie qui s'aggrave, l'apparition de peurs ou de phobies, sont autant d’effets secondaires psychiques qui, contrairement aux réactions paradoxales, peuvent apparaître à mesure que le traitement se prolonge…
Ces réactions relèvent d’un syndrome de sevrage chez des sujets devenus dépendants. les benzodiazépines ne sont certainement pas les seuls médicaments concernés par un tel risque. C’est aussi le cas d’un médicament naguère présenté comme une alternative aux benzodiazépines tel que le zolpidem (Stilnox) et des « nouveaux » antidépresseurs. On voit de plus en plus de gens mis sous antidépresseurs à l’occasion d’une vague difficulté existentielle et qui éprouvent ensuite les plus grandes peines du monde à arrêter leur traitement.

«Les nouveaux antidépresseurs seraient plus enclins à rendre violents que les benzodiazépines»

L’antidépresseur peut-il lui aussi induire un comportement violent à l’égard de soi ou d’autrui?
Le risque de suicide est connu depuis quasiment toujours : pour des raisons probablement promotionnelles, on a voulu l’oublier avec les nouveaux antidépresseurs (type fluoxétine et apparentés), mais il a fallu se rendre à l’évidence et se rendre compte qu’ils n’étaient pas ces médicaments « miracles » que l’on avait célébrés depuis la fin des années 1980. Pour ce qui concerne la violence à l’égard des autres, l’une des plus récentes études disponibles[1] identifie plusieurs dizaines de médicaments hautement suspects, dans lesquels on retrouve certes des benzodiazépines : mais le risque de loin le plus net semble lié aux médicaments qui augmentent la disponibilité de la sérotonine ou de la dopamine au niveau du cerveau, à savoir et comme par hasard les nouveaux antidépresseurs (fluoxétine et apparentés) et, plus encore, la varénicline (sevrage tabagique). On peut donc se demander si tout le tapage fait aujourd’hui autour des benzodiazépines ne vise pas à détourner l’attention des questions plus graves que peuvent poser des molécules plus récentes et bien plus rentables pour leurs fabricants.
Comment limiter le risque de faire une réaction paradoxale à un psychotrope ou d’en devenir dépendant ?
Sur la base de ce qu’on peut savoir en un domaine aussi incertain que les réactions paradoxales aux psychotropes, la meilleure prévention me paraît passer par : 1. une minimisation de la prescription (on ne prescrit pas un psychotrope à chaque stress ou à chaque crise de larmes) ; 2. une minimisation de la durée de la prescription (si cruel soit-il, il y a forcément un moment où il faut affronter l’épreuve du deuil) ; 3. une minimisation du nombre de médicaments prescrits simultanément (il faut vraiment avoir l’esprit simple pour croire que tous les effets bénéfiques ciblés de chaque molécule prescrite vont se combiner en une parfaite harmonie…) ; 4. l’étude soigneuse des antécédents ; 5. l’observation attentive des réactions du patient dès le début du traitement.
Seul un Français dépressif sur trois recevrait un traitement approprié. En tant que médecin et spécialiste du médicament, quel est selon vous le remède à la souffrance psychique?
Personne ne le connaît vraiment. Il faut sortir des guerres de religion. Comme spécialiste du médicament pratiquant la psychothérapie d’inspiration freudienne, je n’ai aucun état d’âme à considérer l’alternative thérapeutique. Je ne crois pas du tout que les grands problèmes de l’âme humaine soient solubles dans la pharmacologie et reste effaré, par exemple, de voir des gens prendre des antidépresseurs durant des années, voire des décennies. Je ne pense pas que les vieilles dames qui prennent leur quart de Lexomil tous les soirs fassent bien, mais je me contente de soutenir qu’il y a plus grave. A l’inverse, il me semble que de tout temps et dans toutes les cultures, les médecines ont eu l’usage de substances psychotropes – de l’opium aux plantes hallucinogènes en passant par l’alcool. Lorsqu’un sujet ne dort plus depuis des jours, qu’il menace – sérieusement – de se jeter par la fenêtre tellement il panique, qu’il veut tuer son conjoint dont il vient de découvrir l’adultère, ou encore qu’il reste à sangloter au lieu d’aller au travail, c’est une escroquerie de faire croire qu’une psychothérapie va régler tout ça en temps réel (sachant de plus que tout le monde n’a pas la disponibilité financière, affective ou intellectuelle pour aborder une psychothérapie). Certes, en prescrivant un médicament, on aura peut-être des accidents sous forme de réactions « paradoxales », mais qui peut savoir le nombre de ceux qui auront été évités grâce à ces mêmes psychotropes ?
[1] PLoS ONE 2010 ; 5(12): e15337.Point final