vendredi 13 avril 2012

ARTICLE PRESSE : REACTION A l'ACTU

 Lemonde.fr le Magazine du 28/10/2011Société
"L'immolation par le feu revêt toujours un caractère politique"
 Le neuropsychiatre Jean-Pierre Soubrier se penche sur ces suicides spectaculaires.



Des Tibétains brandissent des posters de moines ayant mis fin à leurs jours en s'immolant par le feu pour protester contre l'occupation du pays par les Chinois. | Lobsang Wangyal/AFP
Propos recueillis par Louise Couvelaire

La litanie donne le vertige. Le 13 octobre, une enseignante s'est immolée par le feu à Béziers. Six mois auparavant, un salarié de France Télécom avait fait de même sur le parking de l'entreprise, près de Bordeaux. En janvier, un lycéen avait tenté de se donner la mort par le feu à Marseille. Depuis le 17 décembre 2010, le jour où Mohamed Bouazizi, 26 ans, s'est immolé à Sidi Bouzid, déclenchant la révolte en Tunisie, ces suicides se multiplient. Y compris au Tibet où sept immolations ont eu lieu en un mois pour protester contre l'occupation chinoise. Jean-Pierre Soubrier, neuropsychiatre et membre du comité international de l'OMS pour la prévention du suicide, analyse le phénomène.

Pourquoi mourir dans les flammes ?

Jean-Pierre Soubrier : C'est le suicide ultime. Aucune autre méthode ne comporte cet aspect de destruction totale du corps. Le feu, c'est l'anéantissement maximum. En cela, il revêt toujours un caractère très politique, d'autant qu'il s'agit le plus souvent d'un acte réalisé devant les autres. C'est une manifestation publique de révolte et de désespoir.

L'immolation de Mohamed Bouazizi eut-elle un effet de contagion ?

Jean-Pierre Soubrier : L'immolation par le feu comporte, comme toutes les méthodes de suicide, un risque d'imitation. En psychologie, on parle d'un "effet Werther", du nom du héros suicidaire du roman de Goethe. La médiatisation d'un suicide entraînerait, par contagion, une vague de passages à l'acte dans la population. Surtout, le fait d'avoir vu quelqu'un d'autre se suicider précipiterait la décision finale.

Le phénomène a-t-il une dimension culturelle ?

Jean-Pierre Soubrier : Autrefois en Inde, les "suttee" se jetaient dans le feu à la mort de leur mari ; dans les années 1960, des bonzes se sont immolés pour dénoncer la dictature pro-américaine au Vietnam. En Europe, l'immolation en 1969 à Prague de Jan Palach, cet étudiant opposé à l'intervention soviétique, demeure un symbole. Mais l'immolation reste un acte rare en Occident.

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