lundi 5 mars 2018

MàJ : CRITIQUES DEBATS ETUDE RECHERCHE 'apprentissage automatique des représentations neuronales du suicide et des concepts émotionnels & identification des jeunes suicidaires.



"Un algorithme est parvenu à identifier des personnes aux idées suicidaires"  Par  Cécile Thibert   Publié sur sante.lefigaro.fr*

L’ordinateur a également réussi à distinguer du groupe les personnes ayant tenté de mettre fin à leurs jours.
Cela ressemble à un scénario de science-fiction. Des chercheurs du département de psychologie de l’Université Carnegie Mellon à Pittsburgh (Etats-Unis) ont mis au point un algorithme capable d’identifier, dans 90% des cas, les personnes ayant des idées suicidaires. Et ce n’est pas tout. La machine a également réussi à repérer, au sein du groupe, celles ayant déjà fait une tentative de suicide. Ces résultats déconcertants ont été publiés le 30 octobre dans la revue Nature Human Behavior.
En pratique, les chercheurs ont enrôlé 17 jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans, ayant récemment fait part de leurs idées suicidaires à leur psychologue. Dans le même temps, ils ont proposé à 17 autres personnes en bonne santé mentale («neurotypiques») de participer à l’étude. Ils ont ensuite fait passer à chacun des 34 participants une IRM fonctionnelle (imagerie par résonance magnétique). Cet examen - qui ne présente aucun danger car il n’utilise pas de rayons X — permet d’explorer en direct l’activité cérébrale, par le biais de l’observation de l’afflux de sang oxygéné.
Une fois dans l’appareil d’IRM - sorte de tube de deux mètres de long - les participants ont vu s’afficher sur un écran 30 mots les uns à la suite des autres. Certains mots étaient positifs («insouciance», «vitalité», «gentillesse»,...), d’autres négatifs («cruauté», «inquiet», «obscurité»,...) et 10 mots étaient spécifiquement associés au suicide et à la mort («sans espoir», «funèbre», «désespéré»). Les chercheurs ont alors demandé aux participants de réfléchir à chaque mot tandis que, dans le même temps, ils observaient les parties du cerveau en action.

Repérer les passages à l'acte
Toutes les images obtenues par IRM fonctionnelle ont ensuite été fournies à un algorithme. Pour chaque mot, les chercheurs ont indiqué à l’ordinateur si les images appartenaient aux personnes ayant des idées suicidaires ou à celles en bonne santé. Ils lui ont ensuite soumis des images qu’il ne connaissait pas et lui ont demandé de «classer» les personnes. Dans 91% des cas, l’algorithme ne s’est pas trompé. Les scientifiques ont alors voulu mettre la machine à l’épreuve en lui présentant les images des cerveaux de 21 personnes ayant des idées suicidaires, qui avaient été exclues de l’analyse en raison de leur mauvaise qualité. Là encore, l’algorithme a réussi à détecter ces personnes dans 87% des cas.
Les chercheurs se sont ensuite uniquement intéressés aux patients suicidaires, qu’ils ont séparés en deux groupes: ceux ayant tenté de se suicider (9 patients) et ceux qui ne l’avaient pas fait (8 patients). Dans 94% des cas, l’algorithme a réussi à reconnaître ceux qui avaient tenté de mettre fin à leurs jours.
En 2016, des chercheurs de l’université de Cincinnati avaient développé un algorithme capable de détecter les idées suicidaires à partir de l’analyse conjuguée des données verbales et acoustiques.
http://sante.lefigaro.fr/article/un-algorithme-est-parvenu-a-identifier-des-personnes-aux-idees-suicidaires/

Info + : Comprendre la recherche


CRITIQUES DÉBATS DISCUSSIONS AUTOUR DE L’ÉTUDE
D'après article du 

Traduction :

Réaction experte à l'utilisation de l'apprentissage automatique pour identifier les patients suicidaires
Une nouvelle étude dans Nature Human Behavior a utilisé des algorithmes d'apprentissage automatique pour identifier les individus qui s'engagent dans des pensées suicidaires. Dr Dina Popovic, Chef du Département de psychiatrie, Sheba Medical Center, Israël, a déclaré:
"Les patients psychiatriques sont 10 fois plus susceptibles de tenter de se suicider que la population générale, et 50-75% des individus qui se suicident souffrent de dépression ou de trouble bipolaire. Néanmoins, le suicide est un événement très rare et donc difficile à prévoir. Il y a un besoin criant d'outils qui permettraient aux gens de détecter les patients susceptibles de se suicider."
"L'étude est très intéressante et innovante, et représente une tentative originale pour surmonter le manque actuel d'instruments permettant aux cliniciens de mieux prédire les tendances suicidaires. Les résultats sont très prometteurs, mais la taille de l'échantillon est très petite, il faudrait augmenter le nombre de patients et voir si d'autres groupes atteignent les mêmes résultats.
"Il est nécessaire de comparer les patients suicidaires avec les patients déprimés sans pensées suicidaires afin de voir si le classificateur d'apprentissage automatique est vraiment capable de détecter la suicidalité, et que les anomalies (" signature neuronale ") ne sont pas dues à la dépression.
«Enfin, le classificateur d'apprentissage automatique exige que les patients soient coopératifs et concentrés pendant 30 minutes - la plupart des patients se suicident lorsqu'ils sont agités, et l'incapacité de se concentrer est très fréquente chez les patients déprimés. Pourtant, l'étude est très intéressante et peut représenter un point de rupture dans la psychiatrie moderne. "

Le professeur Seena Fazel, professeur de psychiatrie légale, Université d'Oxford, a déclaré:

"Ce document est précieux dans la mesure où il fournit plus d'informations sur les mécanismes cognitifs possibles pour les idées suicidaires. Cependant, en ce qui concerne la prédiction du risque de suicide, il est peu probable que l'on fasse avancer le domaine.
«Premièrement, il ne s'agit pas d'une évaluation évolutive, car les participants doivent concentrer leur attention pendant environ 30 minutes et être prêts à entreprendre une IRM fonctionnelle.
« Deuxièmement, les tests neurosémantiques utilisés montrent une certaine discrimination entre les personnes qui ont des idées suicidaires et celles qui n'en ont pas, mais en pratique clinique, ce n'est pas le problème qui identifie et gère le risque de tentatives de suicide et de suicide.

Troisièmement, leurs résultats ne montrent pas que les tests neurosémantiques ajoutent une performance supplémentaire aux prédicteurs du risque de suicide qui reposent sur la prise d'antécédents pertinents et la réalisation d'une évaluation clinique, qui sont probablement des approches plus évolutives

«Quatrièmement, toute étude de prévision doit généralement comporter environ 10 « événements » par élément d'évaluation des risques dans un échantillon de validation.
Dans cette étude, nous avons 21 individus avec des idées suicidaires dans un échantillon de validation, et 30 «éléments de stimulation», qui suggèrent qu'au moins 300 personnes ayant des idées suicidaires sont nécessaires pour mener une validation robuste.
"Enfin, le groupe de contrôle utilisé dans la validation a été tiré du même groupe de contrôle utilisé dans l'échantillon de découverte, ce qui surestimerait probablement la performance de leurs tests."

Le professeur Derek Hill , président, Science de la réglementation et relations extérieures, IXICO plc et professeur de science de l'imagerie médicale, UCL, a déclaré:
"Identifier les jeunes adultes suicidaires est une tâche extrêmement importante et difficile en médecine. Cet article démontre le potentiel des scans cérébraux, traités par ordinateur, pour identifier les personnes à risque de suicide, mais le résultat doit être considéré comme très préliminaire. Comme les auteurs le reconnaissent, ils n'ont examiné qu'un petit nombre de sujets (17 témoins et 17 à risque de suicide, dont neuf avaient déjà tenté de se suicider). Il est important que leurs résultats soient répliqués avant d'avoir confiance dans leurs résultats.
"Ils ont utilisé une méthode appelée" validation croisée "pour à la fois former et tester leur algorithme d'apprentissage automatique sur le même petit ensemble de données. Bien qu'il s'agisse d'une approche largement utilisée, il ne s'agit pas d'une véritable étude de réplication, il n'est donc pas encore clair si leur algorithme fonctionnerait sur un autre groupe de patients.

"
l'utilisation systématique de leur méthode dans un contexte de soins de santé pose de nombreux défis. Le type de scanner cérébral fonctionnel que les chercheurs ont employé est seulement disponible dans les institutions de recherche avancées, et nécessite des patients coopératifs,de sorte qu'il ne serait pas disponible à grande échelle pour les patients en santé mentale dans un proche avenir.
"De plus, leur algorithme devrait être transformé en un dispositif médical approuvé avant qu'il puisse être utilisé pour aider à la prise en charge des patients, et qui nécessiterait des données d'une étude beaucoup plus vaste et prendrait plusieurs années à réaliser.
"L'apprentissage automatique utilise des algorithmes informatiques pour découvrir des caractéristiques dans les données (telles que les scanners cérébraux dans ce cas) qui peuvent classer les personnes dans des groupes. Cette recherche se penche sur les personnes à risque de suicide, et montre une bonne capacité à prédire à partir des scanners cérébrales des personnes si elles sont à risque de tentative de suicide. "

* ‘Machine learning of neural representations of suicide and emotion concepts identifies suicidal youth’ by Just et al. published in Nature Human Behaviour on Monday 30th October.




Intérêts déclarés
Dr Popovic: "Dr.Popovic a servi comme conférencier, écrivain médical ou a participé à des conseils consultatifs pour Bristol-Myers Squibb, Merck Sharp et Dohme, Janssen-Cilag, Ferrer et Forum Pharmaceuticals."
Prof. Fazel: « Nous avons reçu un financement du Wellcome Trust pour examiner des approches d'évaluation du risque de suicide chez les personnes atteintes de maladie mentale. Rien d'autre.
Prof Hill: "Je n'ai aucun conflit d'intérêt concernant cette histoire. Je suis employé par IXICO, qui utilise des biomarqueurs IRM et des biomarqueurs numériques (biocapteurs portables) dans des essais cliniques de maladies du cerveau, y compris des troubles psychiatriques, mais qui n'ont aucun intérêt commercial dans la recherche décrite.


Références étude mentionnée dans l'article : Machine learning of neural representations of suicide and emotion concepts identifies suicidal youth Marcel Adam Just, Lisa Pan, Vladimir L. Cherkassky, Dana L. McMakin,
Christine Cha, Matthew K. Nock & David Brent
Affiliations
Department of Psychology, Carnegie Mellon University, Pittsburgh, PA, USA : Marcel Adam Just & Vladimir L. Cherkassky
Department of Psychiatry, University of Pittsburgh School of Medicine, Pittsburgh, PA, USA : Lisa Pan & David Brent
Department of Psychology, Florida International University, Miami, FL, USA : Dana L. McMakin
Clinical Psychology Department, Columbia University, New York, NY, USA : Christine Cha
Department of Psychology, Harvard University, Cambridge, MA, USA : Matthew K. Nock
dans Nature Human Behaviour
https://www.nature.com/articles/s41562-017-0234-y#author-information
acces etude https://static-content.springer.com/esm/art%3A10.1038%2Fs41562-017-0234-y/MediaObjects/41562_2017_234_MOESM1_ESM.pdf


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COMPLÉMENT

Les pensées suicidaires sont-elles visibles dans le cerveau ?
Par Camille Gaubert le 03.11.2017 www.sciencesetavenir.fr*

Un algorithme se basant sur des IRM pourrait différencier les personnes suicidaires à la fois des non-suicidaires et des rescapés d'une tentative. Des résultats qui inspirent aux experts interrogés par Sciences et Avenir prudence et enthousiasme.

Les émotions sont caractérisées par des schémas perceptibles à l'IRM et sont exprimées dans des contextes différents selon le profil psychologique
creative commons

Il serait possible de distinguer une personne suicidaire ou ayant déjà tenté de se suicider des autres, uniquement en analysant des IRM avec un algorithme. C'est la conclusion d'une nouvelle étude publiée le 30 octobre 2017 dans Nature Human Behaviour. Une étude aux résultats très intéressants, mais à prendre "avec des pincettes", selon deux experts interrogés par Sciences et Avenir.
L’algorithme qui détecte les personnes suicidaires avec 85 à 91 % de succès
L'IRM fonctionnelle (Imagerie par Résonance Magnétique) permet de visualiser avec précision les zones du cerveau en activité en fonction du taux d'oxygénation du sang qui y circule. C'est par cette méthode qu'ont été observés 34 sujets : 17 ayant des pensées suicidaires (d'après leur analyse psychologique), et 17 sujets sains. Pendant le passage de chaque personne dans le tube de l'IRMf, 30 concepts sur lesquels ils devaient successivement se concentrer défilaient sur un écran. Ces concepts étaient positifs (confort, vitalité…), négatifs (inquiet, obscurité…) ou spécifiquement liés au suicide (mort, sans espoir…).
Les chercheurs et leur algorithme ont alors identifié six concepts (mort, cruauté, peine, insouciance, bien et éloge) et cinq zones du cerveau correspondant à quatre émotions (colère, honte, tristesse, fierté) qui permettaient de différencier au mieux les sujets sains des sujets suicidaires. Ils ont ensuite soumis à leur modèle informatique les résultats des sujets pour chacun des six concepts et des cinq zones du cerveau définies, en lui demandant d'identifier chaque personne comme suicidaire ou non.
Les résultats sont prometteurs : le modèle obtient 91 % de bonnes réponses, identifiant 15 des 17 sujets suicidaires et 16 des 17 sujets sains. Les concepts négatifs sélectionnés (mort, peine et cruauté) ont en effet entraîné plus de tristesse et de honte mais moins de colère dans le groupe suicidaire par rapport aux sujets sains. Lorsque les chercheurs mettent le modèle à l'épreuve sur 21 sujets suicidaires et 17 sains qu'ils avaient exclus de l'étude car leurs signaux n'étaient pas assez clairs à l'IRMf (pour des soucis de capacité à se concentrer par exemple), ils obtiennent une répartition suicidaire/sain correcte à 85 %. "C'est très rare d'obtenir des résultats aussi positifs dans une étude de ce type", commente Xavier Briffault, sociologue du CNRS au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (Cermes3), qui qualifie l'article de "très propre", bien que certains biais dans la méthode méritent d'être soulevés.
Des "résultats exploratoires" à prendre "avec des pincettes"
En effet, la multiplicité des mesures n'est pas prise en compte dans l'ajustement statistique des données. Selon Xavier Briffault "la probabilité que les résultats deviennent significatifs est augmentée lorsque l'on multiplie les mesures". Il illustre ce biais par une étude qui à force de mesures répétées à l'IRM avait trouvé des traces d'activités cérébrales… dans un saumon mort. Une façon de mettre en exergue les risques de faux positifs inhérents à toute technique de mesure et à l'IRM en particulier.
Les critères sur lesquels se base l'algorithme sont également d'une importance capitale. Louis Falissard, spécialiste en machine learning au Laboratoire de Neurosciences computationnelles à l'Université d'Oxford, relate l'histoire d'une équipe persuadée d'avoir conçu un modèle capable de reconnaître les photos de chats de celles de chiens avec 99 % de réussite… Jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que l'algorithme se basait tout bonnement sur la présence de la couleur verte dans la photo, les chiens étant plus souvent pris en extérieur que les chats. D'où l'importance d'avoir un jeu de données "test" non touché pendant l'élaboration du modèle pour le valider, ce qui a été fait dans l'étude en testant le modèle sur un individu laissé en dehors du groupe (validation croisée), une méthode "très légèrement biaisée" mais acceptable. Selon lui, "le problème, c'est la sélection des critères" : les mots et zones du cerveau examinées ont en effet été choisis parmi 1.000 critères, jusqu'à tomber sur ceux qui étaient les plus discriminants entre sujets suicidaires et sains… Un choix dont la significativité pourrait potentiellement être due au hasard au vu du faible nombre de sujets et au regard du nombre de critères examinés.
Cette méthodologie n'invalide pas les résultats, mais inspire la prudence car il existe une possibilité que la généralisation du modèle soit biaisée "et sa performance artificiellement gonflée", ajoute le spécialiste en machine learning. Malgré ces points faibles, ces deux experts s'accordent sur l'intérêt de ces résultats d'un point de vue exploratoire concernant une piste potentielle de biomarqueurs neuropsychiatriques pour les pensées suicidaires. Selon Louis Falissard, il reste à répliquer l'étude avec les mêmes critères sur nouveau groupe similaire pour en éliminer les biais.
Les psychothérapies suivies en direct par IRM, un fantasme pas si lointain ?
Autre résultat intéressant de l'étude : l'algorithme a permis de différencier au sein du "groupe suicidaire" ceux qui avaient fait une tentative (9 sujets) des autres (8 sujets) avec une précision de 94 %. Un résultat qui ne surprend pas Xavier Briffault : les suicidants (qui ont faite une tentative) ont moins peur du passage à l'acte que les individus suicidaires (ceux qui y pensent) et sont d‘ailleurs plus à même de récidiver. Il n'est donc pas surprenant que les réponses émotionnelles diffèrent. Dans l'étude, les scientifiques ont ainsi trouvé que les suicidants ressentaient moins de tristesse face au concept de "mort" par rapport aux personnes suicidaires, ce que les auteurs expliquent par une plus grande acceptation de la mort par les suicidants.
Savoir lire et interpréter aussi finement les réactions émotionnelles ouvre la porte à de nombreuses possibilités. Xavier Briffault ne pense pas que cette technique permettra d'identifier le risque de passage à l'acte des personnes suicidaires, qui dépend beaucoup de causes relationnelles (ruptures, séparations) survenant dans un contexte de troubles mentaux (troubles de l'humeur, troubles de la personnalité) et se fait sous alcool dans plus de la moitié des cas. En revanche, cela pourrait d'après lui constituer un élément supplémentaire pour évaluer le risque que présente le patient en sortie d'hôpital après une tentative. Les travaux futurs sur cette base pourraient également permettre d'appuyer le diagnostic de dépression ou autres troubles mentaux en fonction de l'activation de zones du cerveau identifiées. D'autres perspectives sont plus futuristes : "un jour pas si lointain nous pourrons peut être disposer d'instruments d'observation suffisamment fine de l'activité cérébrale en temps réel pour en faire un usage cliniquement pertinent, en complément avec d'autres biomarqueurs et indicateurs psychologiques et comportementaux", s'enthousiasme-t-il. Un dispositif qui, additionné aux nombreux objets connectés déjà existants et capables de détecter stress, activité et insomnies, permettrait aux professionnels de santé de disposer d'éléments de plus en plus précis dans leur diagnostic et suivi de troubles mentaux.
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/peut-on-reconnaitre-les-personnes-suicidaires-par-irm_118004

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L’IRM fonctionnelle pour prédire le suicide 
Publié le 14/12/2017 https://www.jim.fr/*



La juste prédiction du risque de suicide est un idéal difficile à atteindre par les psychiatres. Elle repose essentiellement sur des indices cliniques, et finalement en grande partie sur les idées suicidaires que les patients peuvent rapporter. Or, la majeure partie des patients décédés par suicide ne signalent pas d’idées de suicide dans la période qui précède leur geste fatal. Pour avancer dans la compréhension des processus menant au suicide, les chercheurs d’une équipe de Pittsburgh ont tenté d’identifier un biomarqueur du risque suicidaire, en utilisant l’IRM fonctionnelle.

Just et coll. ont utilisé les représentations cérébrales en imagerie associées à des concepts en rapport avec la vie et la mort pour différencier les patients ayant des idées suicidaires et des patients contrôles. Le principe est que chaque pensée est associée à certaines activations cérébrales, c’est-à-dire que chaque concept a sa signature particulière en IRM fonctionnelle. Ainsi le mot « cuillère » va activer les régions impliquées dans la façon dont on manipule l’objet (les régions motrices), et dans le fait de manger (régions impliquées dans la sensation gustative).

L’hypothèse formulée par les auteurs, est que les patients ayant des antécédents de tentative de suicide ont une représentation différente de certains concepts par rapport à des sujets contrôle. En pratique, on utilise dans cette étude l’apprentissage automatique (ou « machine learning ») afin de classer les patients comme ayant des idées suicidaires ou non, en fonction des différences constatées dans les activations cérébrales en réponse à tel ou tel concept.
Montrez-moi comment vous pensez à la mort, je vous dirai si vous voulez vivre
Les auteurs ont demandé à 17 sujets ayant des idées suicidaires, et 17 sujets contrôles de penser pendant un bref instant à 30 concepts différents qui leur étaient proposés. Ces concepts pouvaient être des idées généralement considérées comme positives (confort, bien, gentillesse…), négatives (ennui, mal, culpabilité) ou directement en rapport avec le suicide (mort, désespoir, overdose…). Cela constituait donc une somme importante d’informations relatives aux activations cérébrales des sujets.

Le programme d’apprentissage automatique, entraîné à partir des IRM fonctionnelles de 33 sujets non inclus dans l’étude a correctement prédit l’appartenance des sujets dans leurs groupes avec une précision de 91 %. Ainsi, il a pu donner l’appartenance de 15 sujets sur les 17 du groupe « idées suicidaires » et 16 sujets sur les 17 du groupe contrôle (sensibilité de 88 %, spécificité de 94 %).

Le concept permettant le mieux de déterminer le groupe d’appartenance des patients est le mot « mort ».  Les régions cérébrales permettant le mieux de discriminer les patients suicidaires des contrôles étaient les régions frontales médianes supérieures gauches, le cortex cingulaire antérieur, la région temporale médiane droite, la région pariétale inférieure gauche, et la région frontale inférieure gauche.
On peut savoir qui a fait une tentative de suicide avec l’IRMf
Le même type de programme permettait de correctement déterminer, parmi les patients ayant des idées suicidaires, ceux qui ont fait une tentative desuicide, en comparaison avec ceux qui n’en ont pas fait, avec une précision de 94 % (sensibilité de 100 % et spécificité de 88 %). Là encore, le concept le plus discriminant était le mot « mort ».

Bien sûr, on peine à croire que ce genre de dispositif puisse être utilisé en pratique quotidienne. Mais cette étude a surtout pour intérêt de donner un aperçu (aussi brut et difficile à interpréter soit-il) des mécanismes de pensée des patients sur des sujets fondamentaux. L’étude met en évidence à quel point le suicide répond à un processus complexe qui met en jeu une modification fine des représentations mentales. La technique utilisée dans cette étude est fascinante, et pourrait contribuer à de nombreuses avancées en psychiatrie et neurologie.

Dr Alexandre Haroche
Références
Just MA et coll. Machine learning of neural representations of suicide and emotion concepts identifies suicidal youth. Nat Hum Behav. 2017; 1: 911–919 doi:10.1038/s41562-017-0234-y





Comment l'ordinateur peut prévenir le suicide
Des logiciels brassant des milliers de données médicales font émerger des informations invisibles à l’œil humain. Le "machine learning" ouvre de nouvelles voies de prévention ou de prédiction de maladies.
Des logiciels ouvrent de nouvelles voies de prévention ou de prédiction de maladies.
Des logiciels ouvrent de nouvelles voies de prévention ou de prédiction de maladies. (Heidi Jacquemoud)
C'est un fléau contre lequel la prévention patine : chaque année en France, on dénombre 12.000 morts par suicide et 200.000 hospitalisations liées à des tentatives. Comment détecter les signes d'une intention suicidaire? Si de multiples facteurs de risque – dépression, addictions, aspects sociaux et génétiques, etc. – entrent en jeu, la science peine à identifier de nouvelles clés pour prévenir le passage à l'acte. Avec l'intelligence artificielle, des perspectives prometteuses s'ouvrent. En compilant des milliers de données médicales, ces logiciels puissants et capables d'auto-apprentissage (le machine learning) pourraient éclairer ces troubles psychiatriques d'un jour nouveau.
C'est le cas d'une étude menée aux Etats-Unis par Marcel Just (Carnegie Mellon University) et David Brent (University of Pittsburgh), publiée fin octobre 2017 dans Nature Human Behavior. Elle porte sur 34 patients de 18 à 30 ans, la moitié ayant eu des pensées suicidaires, l'autre étant des sujets "contrôle". L'étude montre d'abord que les personnes suicidaires n'ont pas la même représentation émotionnelle de certains concepts que les autres. En leur soumettant 30 mots (mort, confort, ennui, problèmes, culpabilité, gentillesse…), les chercheurs ont par exemple relevé que, chez eux, le concept de "mort" évoque plus de honte et de tristesse. Chaque émotion ayant sa "signature cérébrale", les chercheurs ont ensuite cartographié l'activité du cerveau de ces sujets face à ces 30 concepts, grâce à l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). A partir de ces images, un algorithme a discriminé les zones qui s'activent différemment selon les sujets pour les classer en deux groupes : ceux qui ont déjà eu l'envie de mettre fin à leurs jours et les autres.
Etendre l'essai à un vaste échantillon
Résultat : le programme a su repérer 15 des 17 suicidaires et 16 des 17 non-suicidaires ; soit une précision de 91%, le concept le plus efficace pour trier les cas étant celui de "mort". Plus bluffant, le logiciel a su différencier, parmi les suicidaires, ceux qui étaient déjà passés à l'acte avec 94% de précision. "Attention, précise le pédopsychiatre et directeur de recherche Inserm Jean-Luc Martinot*, il ne s'agit pas de prédire les tendances suicidaires", ces chercheurs connaissant dès le départ le passé des patients. Néanmoins, "c'est la première étude qui parvient à discriminer, avec un taux d'exactitude très important, des sujets ayant ou non commis des tentatives de suicide, sur la base de l'imagerie et de la performance à la reconnaissance de mots".
Les auteurs soulignent la nécessité d'étendre cet essai à un vaste échantillon de patients pour "déterminer si cette approche est généralisable, et si elle permet de prédire le futur comportement suicidaire". Pour Jean-Luc Martinot, également spécialiste de l'imagerie en psychiatrie, le fait que le logiciel soit capable de classer individuellement les sujets constitue un progrès majeur : "En les stratifiant par petits groupes, l'intelligence artificielle peut ouvrir de nouvelles pistes pour développer des stratégies de prévention innovantes, quasiment personnalisées, dans la lutte contre les addictions, ou pour la prédiction d'autres maladies. Or plus de la moitié des troubles mentaux apparaissent avant 20 ans, à un moment où le cerveau est en développement, avant de devenir chroniques."
Les algorithmes pourront valider ou invalider la classification des troubles psychiatriques, peut-être créer de nouvelles catégories plus pertinentes
Les recherches en psychiatrie utilisant le machine learning se développent. Elles intéressent de près Facebook, avec l'espoir de détecter d'éventuelles idées suicidaires dans les posts des abonnés. Dans une étude réalisée sur 379 patients du Cincinnati Children's Hospital, publiée en 2016, l'algorithme avait réussi à les classer (à 93%) en trois groupes : suicidaires, malades psychiatriques mais non suicidaires, patients témoins. Pour cela, il disposait des réponses à un test comportemental et d'enregistrements audio dans lesquels les patients répondaient à cinq questions ("Avez-vous de l'espoir?", "Etes-vous en colère?", etc.). Le logiciel avait analysé le vocabulaire, le phrasé et les silences pour détecter des motifs communs.
Outre l'âge, le sexe, les prescriptions, l'imagerie, les prélèvements de sang ou de microbiote, d'autres données pourraient nourrir ces algorithmes, estime Philippe Fossati, professeur de psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière et à l'université Pierre-et-Marie-Curie. "Par exemple, des données d'auto-évaluation envoyées par des applications pour Smartphone ou des objets connectés." Pour ce psychiatre, chercheur à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, le machine learning pourra permettre de définir par des marqueurs biologiques des affections actuellement définies par un entretien avec le patient : "Les algorithmes pourront valider ou invalider la classification des troubles psychiatriques, peut-être créer de nouvelles catégories plus pertinentes et aboutir à de meilleurs pronostics ou à des traitements plus personnalisés."

L'humain en dernier ressort
Le professeur d'immunologie Nicolas Glaichenhaus, de l'université de Nice-Sophia-Antipolis, qui travaille sur la schizophrénie, estime aussi qu'en psychiatrie "mettre les patients dans des cases reflète rarement la variabilité individuelle. Il y a parfois plus de différences entre deux schizophrènes qu'entre un schizophrène et un bipolaire". Selon lui, l'intelligence artificielle aidera le médecin à améliorer la prise en charge du patient, voire à prédire sa réponse à un traitement. De là à prédire un risque de pathologie à la naissance? "Ces questions ont des répercussions éthiques, c'est pourquoi nous travaillons avec des philosophes et des experts. Que décider, si on peut prédire qu'un enfant aura des risques de développer des troubles du spectre autistique, sachant que plus la prise en charge est précoce, mieux on soigne?", s'interroge l'immunologue. Dans le champ du suicide, faudra-t-il accepter que les algorithmes sonnent l'alerte? Protéger quelqu'un contre son gré , n'est-ce pas une atteinte à notre liberté? Pour Philippe Fossati, "le dernier ressort restera la clinique et l'humain. Surtout en psychiatrie, le relationnel reste essentiel".
* Unité 1000, Imagerie en psychiatrie. Université Paris-Sud, université Paris-Descartes.

*http://www.lejdd.fr/societe/sciences/comment-lordinateur-peut-prevenir-le-suicide-3585359