lundi 3 juillet 2017

AUTOUR DE LA QUESTION «La part belle» : un documentaire «anti-psychiatrique»

WATTRELOS : «La part belle» : un documentaire «anti-psychiatrique»
Antoine d’Heygere et Erwan Marion sont tous les deux membres du collectif LacavaLe.
Antoine d’Heygere et Erwan Marion sont tous les deux membres du collectif LacavaLe.
Pendant deux semaines, vous avez accompagné des jeunes en souffrance psychique (de la clinique pour adolescents souffrant de troubles psy de Wasquehal, des centres médicaux psychologiques de Mons-en-Barœul et de Roubaix), comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ce public ?
Antoine d’Heygere : Je connaissais déjà l’univers de la psychiatrie. En 2010, j’avais réalisé un long format radio «  Puisque les hommes meurent  » autour d’un homme placé en famille d’accueil qui écrivait des poèmes. Il y a deux ans, j’avais également conçu un documentaire «  Le monde n’existerait pas  », avec l’établissement public de santé mentale (EPSM), qui mélangeait des paroles de patients avec ceux de riverains. Pour « La part belle », j’ai été sollicité par l’EPSM, avec pour seule contrainte de monter un projet artistique avec les ados de la clinique. Et on a réalisé collectivement le docu de A à Z.
« La part belle » est à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, pourquoi cette forme hybride ?
Erwan Marion : L’idée, c’était d’amener tous les gamins à se projeter à 30 ans, plutôt que de les renvoyer toujours à leur passé ou au présent. C’était aussi une façon détournée de leur faire parler d’eux-mêmes. C’est drôle, parce que la plupart s’imaginent mariés, avec des enfants ! Je me souviens d’Isa, qui avait inventé son histoire d’amour super précise : elle tombe à cheval, rencontre un infirmier appelé Pierre à l’hôpital, et le recroise par le plus grand des hasards lors d’un cours de guitare. Et il finit par la demander en mariage dans un café…
Antoine d’Heygere : Une psychiatre nous a même confié, après la réalisation, que c’était « anti-psychiatrie » comme documentaire ! En demandant aux jeunes de parler de leur futur, on a brisé un non-dit. Elle nous a dit qu’elle n’aurait jamais osé, elle n’évoque que le présent ou le passé avec eux. Ils craignent à mort de poser cette question là-bas, de peur d’entendre un ado leur répondre «je serai mort à 30 ans». Après, nous, on avait un regard assez innocent, leurs pathologies, on ne les connaissait pas et on s’en foutait pour ainsi dire ! Ce qu’on voulait, c’est qu’ils s’interrogent sur l’âge adulte.
Comment ont réagi les adolescents face au projet proposé ?
Antoine d’Heygere : Étonnamment, ils se sont très vite projetés. C’était un point de vue fictionnel et pas intrusif, donc cela a sûrement facilité les choses. En une semaine, la clinique s’est vraiment transformée en boîte de production. Il y avait Alexis qui hésitait entre fossoyeur, animateur 2D ou majordome, Marie, qui se projetait vétérinaire dans un zoo, ou encore Brendan qui s’imaginait éleveur bovin !
Erwan Marion : Après, on a perdu des ados en route. Certains étaient trop mal dans leur vie à ce moment-là, ce n’était pas possible pour eux de se projeter ou de trouver du sens...
Et comment cela s’est passé après ?
Antoine d’Heygere : Pendant la réalisation, ils devaient rencontrer des professionnels de leur métier rêvé. Un an après, certains confirment leurs projets, comme Marie qui a effectué un stage au zoo de Lille, ou Brendan scolarisé dans un lycée agricole… Et on reste toujours en contact avec eux sur Facebook, en espérant les suivre jusqu’à leurs 30 ans…
«À l’époque, je ne savais pas où j’allais»
Quentin, 17 ans, était à la clinique des adolescents de Wasquehal quand il a participé au projet. Un an après, il raconte.
« À l’époque, je ne savais pas où j’allais, j’avais arrêté les études, je n’avais pas de projet, je faisais rien du tout. (…) Mais quand ils m’ont présenté le projet, j’ai dit oui. Au début, c’était dur, je ne voyais pas ma vie plus tard, je n’arrivais pas à m’inventer un futur. C’est venu peu à peu, parce que j’aime le sport. J’ai commencé à me voir coach sportif. Après j’ai imaginé ma maison à Lille, ensuite, mes deux enfants, un garçon et une fille. J’avais rencontré ma femme à la salle de sport, elle était secrétaire médicale… Ça m’a vraiment aidé à avoir une idée de métier, de maison, enfin de vie, tout ce que je n’avais pas avant. L’année prochaine, je reprends les études pour aller en première S. (…) Je suis toujours en contact avec le bodybuilder que j’avais interviewé, il m’a donné des conseils, on va à des séances de sport ensemble. Il m’aide à choisir ce que je veux faire plus tard, car j’hésite entre coach ou rentrer dans l’armée. Mais bon, il faut d’abord que je passe mon bac ! »
Pratique
Quoi  ? La part Belle, un film documentaire réalisé par un groupe d'adolescents et d'adultes de la clinique de l’adolescent de Wasquehal, du CMP Ado de Mons-en-Barœul et du CMP Ado de Roubaix, accompagnés par Antoine d'Heygere et Erwan Marion du collectif LacavaLe.
Quand  ? Vendredi 23 juin à 19 h 30.
Où  ? Au Centre Socio Educatif, 10 rue Gustave Delory, à Wattrelos.
Comment  ? L’entrée est gratuite, mais la réservation est obligatoire.
Pour plus d’informations  : 03 28 38 51 17 - www.epsm-al.fr


* http://www.lavoixdunord.fr/182087/article/2017-06-22/la-part-belle-un-documentaire-anti-psychiatrique