mardi 21 mars 2017

Presse Éclairage avec le Dr Matthieu Lustman, médecin généraliste et sociologue.

Le praticien doit faire preuve de vigilance au quotidien
dans Le Quotidien du Médecin Article, lundi 20 mars 2017 *
Psychiatrie
Chaque année, on compte en France 9 000 suicides et 180 000 tentatives déclarées. Face à cette question éminemment sensible, les professionnels de santé sont souvent démunis. Pourtant, en matière de prévention notamment, le rôle du médecin est incontournable. Éclairage avec le Dr Matthieu Lustman*, médecin généraliste et sociologue.
La « crise suicidaire », définie comme « un état de trouble psychique aigu, caractérisé par la présence d'idées noires et d'une envie de suicide de plus en plus marquées et envahissantes » , la crise suicidaire enferme la personne dans une immense souffrance, l'empêchant de trouver en elle les ressources suffisantes pour surmonter ce moment.
« Elle va d'abord s'adresser à la famille ou à des amis, puis, s'ils ne répondent pas présents, elle peut parler à son assistante sociale ou à son médecin » , raconte le Dr Matthieu Lustman, médecin généraliste et auteur d'une thèse en sociologie intitulée « Du suicide comme construction sociale ». À ce moment-là, le médecin généraliste doit écouter son patient, le comprendre en profondeur, analyser ce qui fait sens pour lui et savoir l'orienter.
Prévention primaire
« Toutefois, la complexité de la question invite le praticien à faire preuve de vigilance au quotidien » , précise le Dr Lustman. En effet, le premier rôle du médecin généraliste est d'agir avant la tentative de suicide : « C'est la même chose que pour l'infarctus, où notre mission consiste à traiter le diabète, le cholestérol, à inciter nos patients à pratiquer une activité sportive ou à faire un régime... On se situe dans "l'avant" Il en va de même pour le suicide. En fait, nous devons voir nos patients dans leur complexité, avoir une approche biopsychosociale, être attentifs à leur mal-être, dans sa singularité, avant que celui-ci ne se transforme en crise. » Autrement dit, il faut essayer de repérer les symptômes quand ils se présentent. « Même si le chiffre est largement sous-estimé, on dénombre 180 000 tentatives de suicide chaque année dans le pays, ajoute-t-il. Avec 80 000 médecins, cela représente en moyenne un peu plus de 2 personnes pour chacun d'entre eux : ce n'est pas énorme... Mais le caractère dramatique du suicide justifie cette attention permanente. »
Décryptage
Des formations sur le sujet sont dispensées ponctuellement. Objectifs : apprendre à décrypter certains signaux, se poser les bonnes questions, savoir demander à la personne si elle veut mourir, connaître les réseaux de prise en charge... Des outils pédagogiques permettent aussi d'évaluer le niveau du risque et de « lister » les options : adresser le patient aux urgences ou dans un centre d'accueil psychiatrique, le revoir rapidement ou un peu moins rapidement, travailler avec la famille... « Ce sont des éléments qui nous permettent de proposer une prise en charge... mais ce n'est pas un gage de réussite : ce n'est pas parce que l'on dispose d'un protocole que la tentative de suicide est forcément évitée », relève le Dr Lustman . Ainsi, les qualités du médecin - écoute, compréhension, attention, observation, patience et capacité à sortir de son cadre habituel - doivent être toujours mobilisées : en amont d'une potentielle tentative de suicide et, bien entendu, en aval. « Le médecin généraliste a alors un rôle à jouer en termes de poursuite d'accompagnement, de débriefing ou de disponibilité » , poursuit le praticien.
Échanger avec ses pairs
En fonction des traumatismes subis et de l'histoire de chacun, la douleur psychique peut s'inscrire dans le long terme et se manifester de manière très diverse. Se retrouver face à quelqu'un qui veut mettre fin à ses jours est tellement délicat qu'il est indispensable de ne pas travailler seul, de faire attention à soi, d'échanger avec ses confrères, y compris dans une logique pluridisciplinaire. « Psychologue, art-thérapeute, sophrologue, acupuncteur... toutes les possibilités de soin doivent être envisagées » , insiste-t-il. Quant à la possibilité d'être confronté un jour au suicide d'un patient, le Dr Lustman est très clair : « Autant que possible, nous ne devons pas culpabiliser car nous ne sommes pas des sauveurs... L'important est d'avoir une démarche réflexive sur notre action, de ne pas hésiter à "refaire le film" pour voir ce qui a fonctionné ou pas, afin de ne pas reproduire d'éventuelles erreurs la fois prochaine. » Et ce tout en restant « humble » : en effet, chaque histoire est différente, et les réponses le sont parfois tout autant.
* Le Dr Matthieu Lustman est médecin généraliste et sociologue. Il est président de la Fédération européenne des associations luttant contre l'isolement et pour la prévention du suicide (FEALIPS) et membre de l'Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS). Il est également enseignant-chercheur à l'Université Paris-Est Créteil et à l'Université catholique de Lille.
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