lundi 3 octobre 2016

Au Bénin, un réseau de prévention contre le suicide


Au Bénin, un réseau de prévention contre le suicide Dans le centre-relais de Djougou, dans le nord-ouest du Bénin, des lits fabriqués par les malades.


« Certaines personnes nous disent spontanément qu’elles sont fatiguées et qu’elles veulent que leurs souffrances cessent. Avec d’autres, il faut aborder le sujet en leur demandant franchement si elles ont déjà voulu mourir », raconte sœur Lorette. La religieuse écoute ceux qui souffrent. Elle travaille depuis deux dans un centre-relais de santé mentale à Comé, dans le sud du Bénin, à 60 km de la capitale, Cotonou.Des centres comme celui de Comé, le pays en compte désormais 26. Ils forment un véritable réseau de santé mentale. Gérés par une ONG catholique locale, Sainte-Camille de Lellis, ils sont chargés depuis 2012 de la prévention et de la prise en charge des maladies mentales et du suicide. Les soins sont dispensés par des infirmières religieuses comme Lorette, non spécialisées, mais sensibilisées à la psychiatrie. Lorsque les malades franchissent les portes de ces centres de santé, c’est souvent après une vaine errance thérapeutique. « Les familles emmènent souvent d’abord le malade voir le marabout, mais quand elle constate que son état ne s’améliore pas, elle se tourne vers nous », constate l’infirmière.

Au Bénin, parler du suicide n’est toujours pas chose facile. Pour évaluer le risque suicidaire, sœur Lorette a dû apprendre à briser des tabous. Grâce aux entretiens avec les patients et à l’aide d’un guide pédagogique, elle identifie les pathologies mentales. Elle peut alors, si nécessaire, proposer aux malades des médicaments efficaces. « Les malades trouvent un bénéfice à venir dans les centres-relais de santé mentale. Ils constatent qu’avec des médicaments, ils se sentent mieux. L’efficacité, mais surtout l’accessibilité géographique et financière des traitements font que les malades s’en saisissent », explique le docteur William Alarcon, psychiatre à Uzès, en France, et président de Santé Mentale en Afrique de l’Ouest (SMAO), une association qui œuvre pour le développement de politiques de santé mentale en Afrique subsaharienne, et qui épaule l’ONG Sainte-Camille de Lellis dans son travail auprès des Béninois.

Structures quasi inexistantes

Parmi les patients qui viennent consulter dans ces centres, nombreux sont ceux qui reviennent. « Nous atteignons des taux de fidélisation de l’ordre de 70 % à 80 % », précise le docteur William Alarcon. Rien d’étonnant au succès rencontré par les associatifs : leur offre de soin vient combler un vide abyssal en matière de soins psychiatriques au Bénin. Ce pays d’Afrique de l’Ouest dénombre 0,19 psychiatre pour 100 000 habitants, un chiffre à peine complété par des infirmières et d’autres professionnels de santé. Il n’existe aucune résidence pour personnes atteintes de maladie mentale et l’ensemble des établissements de soin publics a une capacité d’accueil de 700 lits de psychiatrie adulte, dans les seules villes de Cotonou et Parakou – la grande ville du nord du Bénin − pour une population de plus de 10 millions de personnes, et aucun lit de pédopsychiatrie. « Dans tout le nord, nous ne sommes que trois psychiatres, déplore le professeur Tognon, psychiatre à l’hôpital universitaire de Parakou. Nous ne pouvons évidemment pas recevoir toutes les personnes qui font des tentatives de suicide. »
Pourtant, au Bénin comme ailleurs, les personnes suicidaires existent. D’après les dernières estimations de l’OMS de 2012, le taux de suicide était, en Afrique, proche de la moyenne mondiale : 11,4 pour 100 000 habitants. Soit une augmentation de 38 % en comparaison avec l’année 2000. Selon le docteur William Alarcon, « face à la mondialisation, la vie en communauté, villageoise et familiale, se disloque. Cela peut déséquilibrer les personnes les plus fragiles ». Mais le médecin explique aussi à quel point les maladies psychiatriques sont aussi très suicidogènes. « Les suicides dus à des maladies lourdes comme la dépression, les troubles bipolaires et la schizophrénie ont toujours existé en Afrique, et ils sont plus nombreux qu’on a toujours bien voulu le dire. Mais ils continuent d’être tabous et ce sont souvent d’autres causes qui sont avancées pour les expliquer », analyse-t-il.
Le professeur Tognon évoque en effet une autre cause au suicide : « En Afrique, des personnes malveillantes, avec des paroles incantatoires et des vibrations maléfiques, ont le pouvoir de provoquer un passage à l’acte. Parfois un simple va te noyer glissé à l’oreille peut suffire », explique le psychiatre.
Les représentations culturelles du suicide, comme celles des pathologies psychiatriques, sont, en Afrique, fortement marquées par l’« externalisation de la cause ». « Il y a une tendance à penser que la cause du mal-être est extérieure à la personne, et due à des possessions ou autres envoûtements », regrette le docteur Alarcon. « Or accuser le mauvais sort revient souvent à nier les véritables racines du suicide et le considérer comme inéluctable. A quoi bon, alors, essayer de soigner ? » Ce fatalisme autour de la maladie mentale représente un frein majeur au développement de la psychiatrie. Et il retarde également la prise en charge des malades dans les centres du réseau. « Dans les zones rurales, les personnes blâment systématiquement les mauvais esprits en cas de tentative de suicide. Elles ne savent même pas que les soignants peuvent peut-être faire quelque chose pour eux », rapporte le professeur Francis Tognon.

Des mentalités qui évoluent

Il subsiste au Bénin des tabous sur un acte qui reste condamné par la religion et la tradition. « Dans certaines ethnies, par exemple dans le nord du Bénin où j’exerce, lorsqu’on met le corps du suicidé dans le tombeau, on y ajoute des épines. Juste pour le punir », rapporte le professeur Tognon. Le suicidé paie le prix fort pour son affront : il ne bénéficie pas des rites funéraires accordés aux autres défunts. Et pour ceux qui survivent à une tentative de suicide, la vie peut devenir encore plus difficile qu’elle ne l’était.
Cependant, les mentalités évoluent. Sœur Lorette, elle-même, a changé de regard sur ceux qui veulent se donner la mort. « Avant, comme beaucoup de personnes au Bénin, je condamnais le suicide. A force d’écouter les personnes concernées, et à force de réfléchir, j’ai pu sortir du jugement », explique-t-elle. Si la situation l’exige, l’infirmière peut passer une heure à écouter une personne pour lui venir en aide.
« De plus en plus de gens comprennent que le suicide peut être la conséquence d’une maladie mentale, d’une tristesse », estime le docteur Alarcon. « Les tentatives ne sont plus condamnées systématiquement comme elles l’étaient auparavant », renchérit sœur Laurette. « Nous avons récemment reçu une femme qui avait essayé de se tuer avec des calmants. Elle a heureusement pu être sauvée. Il y a peu encore, elle aurait été insultée, frappée, et menacée du pire si elle osait recommencer. Et personne ne l’aurait écoutée. Nous, nous l’avons écoutée, et nous avons aussi rencontré son mari. »
Le nombre de centres-relais de santé mentale doit encore augmenter. De quoi amener aux personnes désespérées ce dont elles ont besoin : une écoute et des soins psychiatriques de qualité.

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