vendredi 3 avril 2015

Eclairage de deux associations réunissant psychiatres et chercheurs sur les psychotropes et risques suicidaires



d'après article «Dépression, suicide, antidépresseurs... les idées reçues tuent !»

AVIS D'EXPERTS - Deux associations réunissant psychiatres et chercheurs appellent à ne pas accuser les antidépresseurs après le drame du crash de l'A320 de Germanwings, vraisemblablement causé par un pilote suicidaire.
«Suite au drame de l'Airbus A320 de la compagnie GermanWings, de nombreux commentaires ont été faits, souvent imprécis, parfois erronés sur le rôle éventuel des médicaments psychotropes dans la catastrophe. Aussi, nous, psychiatres et chercheurs, représentant l'Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie et la Fondation FondaMental, souhaitons apporter les éclairages qui nous semblent indispensables.
Avec plus d'un million de morts par an dans le monde et près de 11.000 en France, le suicide est la première cause de mortalité des 25-34 ans et la seconde pour les 15-25 ans. Les personnes décédées par suicide présentaient dans 60 a 70 % des cas une dépression et plus de 90% n'avaient pas reçu de traitement. Il est évident que traiter une dépression permet de prévenir le suicide. À travers le monde, de nombreuses études ont permis de démontrer que l'augmentation des prescriptions d'antidépresseurs était associée à la réduction des taux de suicide. Ces résultats récents confirment l'effet observé au cours d'une vaste étude réalisée dans l'île de Gotland en Suède au début des années 1980 sur la prévention du suicide: la formation des médecins au traitement de la dépression entraînait une baisse du suicide.

Traiter la dépression réduit le risque

La polémique au sujet de l'effet «suicidogène» éventuel des antidépresseurs qui a émergé au début des années 2000 est largement contestable. Le phénomène étudié lors des travaux de synthèse d'essais d'antidépresseurs n'a pas été suffisamment défini dans les critères d'évaluation. L'agence du médicament aux États-Unis (FDA) a effectivement édité une mise en garde pour les prescriptions des antidépresseurs chez les mineurs, élargie aux moins de 25 ans en 2007. Il s'agissait d'alerter les prescripteurs sur un risque potentiel justifiant une surveillance accrue de ces patients en phase d'introduction du traitement. Cependant, il ne s'agit en rien d'une contre-indication pour la prescription de ces traitements chez l'adolescent, la FDA soulignant avant tout que le risque de suicide est lié à la pathologie. Il est aussi possible d'invoquer le poids de la honte ressentie et du stigma associés à l'annonce du diagnostic de dépression à une personne jeune. Les mises en garde sur l'usage des antidépresseurs ont conduit dans quelques pays à une diminution de leur prescription qui s'est accompagnée d'une augmentation des taux de suicide. Ceci conduit à proposer des mises en garde sur les mises en garde, et à insister sur une é́vidence: la dépression tue en augmentant le risque de suicide!
Des gestes suicidaires sont possibles après la prescription d'antidépresseurs ; il faut garder à l'esprit que ce risque décroît au fil du traitement. Il est surtout majeur avant l'instauration du traitement. Des idées de suicide ont été décrites chez 3 à 17% des patients après instauration du traitement, avec de très rares cas de passage à l'acte suicidaire. Il est montré que l'émergence des idées de suicide est liée à l'aggravation de la dépression lorsque le traitement ne fonctionne pas, ainsi qu'à la sévérité de la dépression et à son apparition dès l'adolescence. Il serait faux de croire que les antidépresseurs augmentent le risque de suicide alors qu'au contraire, traiter la dépression réduit globalement le risque et favorise la prévention.
Il apparaît encore plus dangereux que le public puisse croire que ces médicaments peuvent être la cause d'actes violents contre autrui. Ces fausses croyances peuvent aboutir à un arrêt prématuré des traitements par les patients avec les conséquences que l'on connaît. La prescription et le suivi des traitements font l'objet d'une décision partagée entre le patient et son médecin. La première leçon de la médecine est qu'il ne faut pas nuire aux malades. Cela implique que l'information du public doit être pertinente et exacte. La lecture des preuves scientifiques, la prudence, la déontologie, le respect pour les patients, le simple souci d'humanité nous font déclarer qu'aucune polémique sur ce sujet ne mérite d'être entretenue.»
Texte rédigé par: Pr Philippe Courtet1,2, CHU de Montpellier, Pr Marion Leboyer2, AP-HP CHU Mondor, Pr Pierre-Michel LLorca1,2, CHU de Clermont-Ferrand, Pr Emmanuel Haffen1,2, CHU de Besançon, Pr Emmanuel Poulet1, CHU de Lyon, Pr Emmanuelle Corruble1, AP-HP CHU Kremlin-Bicêtre, Pr Frank Bellivier1,2, AP-HP CHU Fernand-Widal, Pr Franck Baylé1, SHU Sainte-Anne, Pr Amine Benyamina1, AP-HP CHU Villejuif, Pr Diane Ouakil1, CHU de Montpellier, Pr Luc Mallet1,2, AP-HP CHU Mondor, Pr Eric Fakra1, CHU de Saint-Étienne, Pr Pierre Vidailhet1,2, CHU de Strasbourg, Pr Nemat Jaafari1, CHU de Poitiers, Dr David Misdrahi1,2, CHU de Bordeaux, Pr Florence Thibaut1, AP-HP CHU Cochin, Pr Patrick Martin1, AP-HP CHU Saint-Antoine, Pr Michel Hamon1, Université Paris 5.
1- Association Française de Psychiatrie Biologique et de Neuropsychopharmacologie (AFPBN)
2- Fondation FondaMental