lundi 18 février 2013

PRESSE Interview de Jean-Pierre SOUBRIER Suicide : le "désespoir économique" est un risque supplémentaire

Suicide : le "désespoir économique" est un risque supplémentaire
Par Anna BENJAMIN, le 15/02/2013  sur TF1 News
L'immolation par le feu de demandeurs d'emploi mercredi à Nantes et vendredi à Saint-Ouen pointe la nécessité d'une prise en charge davantage psychosociale que médicale des chômeurs, estime le Professeur Jean-Pierre Soubrier, psychiatre et expert à l'OMS.

Un homme "très seul" et sans emploi a tenté de s'immoler par le feu en pleine rue vendredi à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, deux jours après la mort d'un chômeur en fin de droits qui s'était suicidé de cette manière devant un Pôle emploi à Nantes. Le président François Hollande avait exprimé après ce drame "une émotion toute particulière", tout en écartant toute responsabilité du service public de l'emploi.

Pour le Professeur Jean-Pierre Soubrier, psychiatre et expert en suicidologie à l'OMS, ces suicides pointent la nécessité d'une prise en charge davantage psychosociale que médicale des chômeurs, une population souvent en désespoir économique.

TF1News : Que signifie se suicider par immolation ?

Pr. Jean-Pierre Soubrier : Cette méthode est une destruction ultime et définitive du corps. Ces personnes nous disent qu'elles ne veulent plus faire partie de la société. Par ailleurs, ce mode de suicide est plus courant chez les personnes schizophrènes et d'après les premières informations ces personnes ne sont pas connues comme étant malades. C'est aussi extrêmement grave car ce suicide, typique de l'Asie, reste exceptionnel en Occident. Il faut donc faire attention car il y a un risque de contagion et d'imitation chez les personnes qui sont au bout du rouleau avec l'hypermédiatisation de ces suicides.

TF1News : Le suicide est-il courant chez les chômeurs ?

Pr. J-P S. : Plusieurs facteurs mènent au suicide. Mais il existe un risque supplémentaire chez les personnes en désespoir économique, comme les chômeurs ou les migrants, des populations qui sont dans une situation de fragilité et de vulnérabilité. Il suffit qu'une personne sensible devienne vulnérable en étant dans une situation économique difficile pour que cela la conduise à un acte de désespoir qui se transforme en acte suicidaire. Une faillite, un chômage, ou comme on en parle de plus en plus la situation économique des personnes âgées, peut entraîner un acte suicidaire.

TF1News : Quelle peut être la prévention pour ces personnes ?

Pr. J-P S. : On est à l'état zéro de la prise en charge de ces populations en France. Ces gens ne sont pas des malades mentaux donc la société ne prend pas en compte leur désespoir. Il n'existe pas assez de structures pour prendre en charge cette population suicidaire et dépressive alors que c'est un problème de santé publique, pas de santé mentale. On est dans une pathologie psychosociale, pas médicale. Ce ne sont pas des hôpitaux psychiatriques qu'il leur faut, c'est une écoute, du soutien et du réconfort car tout ce qui est strictement médical n'est pas adapté à leur situation. Les gouvernements doivent dire que la prévention du suicide est une réalité et que le suicide est l'affaire de tous. Il serait donc temps d'arrêter de faire du suicide un sujet tabou.