lundi 8 octobre 2012

ACTUALITE MEDICALE Tentative de suicide : un facteur de risque puissant de mort naturelle

ACTUALITE MEDICALE
Tentative de suicide : un facteur de risque puissant de mort naturelle
Publié le 08/10/2012sur jim.fr

Une tentative de suicide inaboutie est, on le sait, associée à un risque important de mort ultérieure par autolyse. Mais c’est également un marqueur de risque majeur de décès accidentel et de mort prématurée de cause naturelle comme le confirme et le précise une étude de cohorte conduite en Grande Bretagne.
Helen Bergen et coll. ont constitué une cohorte de 30 950 sujets ayant été pris en charge pour une tentative de suicide dans les services d’urgence d’hôpitaux d’Oxford, de Derby et de Manchester entre 2000 et 2007. Ces patients ont été suivis jusqu’à la fin 2009, soit pendant une durée médiane de 6 ans, et les causes de leur décès éventuel ont été répertoriées grâce aux registres centraux couvrant tout le territoire du Royaume Uni.
Globalement 6,1 % de ces sujets sont décédés durant les 6 années soit un taux de mortalité standardisé sur l’âge multiplié par 3,6 par rapport à une population générale d’âge comparable.
Les décès par suicide ont été bien sûr beaucoup plus fréquents dans cette population avec 246 morts contre 13 « attendus » soit un taux de mortalité spécifique multiplié par 18,7 par rapport à la population générale.  Les morts d’origine accidentelle ont été également très fréquentes avec 242 décès contre 26 attendus soit un taux de mortalité spécifique multiplié par 9,2.
7,5 fois plus de morts de cause digestive
Mais au-delà de ces chiffres qui confirment ceux de travaux précédents, l’étude de Helen Bergen pointe du doigt l’augmentation considérable du risque de décès de cause « naturelle » après une tentative de suicide (plus de deux  fois plus élevé que ce qui était attendu en fonction de l’âge des sujets). Les pathologies somatiques concernées étaient principalement vasculaires (taux de mortalité spécifique multiplié par 2,3), digestives (taux de mortalité multiplié par 7,5), respiratoires (taux de mortalité spécifique multiplié par 2,8). Ce travail ne peut permettre de préciser les mécanismes par lesquels les tentatives de suicide sont associées à une mortalité naturelle très élevée. Ils sont probablement multiples et intriqués : addictions notamment à l’alcool et/ou tabac plus fréquentes, suivi médical de moins bonne qualité et prescriptions moins bien respectées etc…

Un risque plus important encore chez les pauvres

Helen Bergen et coll. ont voulu aller plus loin et ont tenté de déterminer quels étaient les facteurs qui influaient sur cette surmortalité après tentative de suicide. Ils ont constaté que la majoration du risque global était plus importante chez les hommes que chez les femmes avec un taux de mortalité standardisé sur l’âge multiplié par 4,1 contre 3,2 chez les femmes. De plus un bas niveau socio-économique (évalué par le code postal du lieu de résidence) était également un amplificateur de risque de mort naturelle chez les hommes tandis qu’une consommation excessive ou une addiction à l’alcool était aussi un facteur supplémentaire de surmortalité en particulier par affections digestives. Cependant  en toute rigueur on ne peut conclure à un lien de causalité entre ces différents paramètres et le risque de décès (la pauvreté pouvant par exemple être à la fois une « cause » et une conséquence des troubles psychiatriques et des addictions souvent associés aux tentatives de suicide).

Mieux explorer la santé somatique des « suicidants »

Quelles que soient les implications théoriques de ces constatations, l’étude de Bergen et coll.  appelle à modifier notre approche des sujets ayant fait une tentative de suicide. D’une part en renforçant la prise en charge psychiatrique, psychologique et sociale au long cours de ces patients qui sont, malgré les suivis actuels, à très haut risque de décès par autolyse ou par accident. Mais aussi, ce qui est plus nouveau, en envisageant un bilan somatique complet afin de dépister des affections ou des facteurs de risque accessibles à une prévention primaire ou secondaire.  Pour ce faire les auteurs recommandent d’ailleurs de mettre en place des structures de soins pouvant intégrer prise en charge psychiatrique et somatique, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.


Dr Nicolas Chabert

Bergen H et coll. : Premature death after self-harm: a multicentre cohort study. Lancet 2012, publication avancée en ligne le 18 septembre 2012 (doi:10.1016/S0140-6736(12)61141-6).