mardi 11 septembre 2012

Profond malaise au sein du personnel pénitentiaire

Profond malaise au sein du personnel pénitentiaire Écrit par Frédérique Privat, Epoch Times  11.09.2012

Saint-Quentin de Fallavier, samedi 30 août dernier, à l’aube: une soixantaine de surveillants du centre pénitentiaire manifestent devant la maison d’arrêt de cette région d’Isère. Après plusieurs incidents avec les détenus, ils souhaitent dénoncer le manque de personnels dans une prison surpeuplée, ainsi qu’une responsabilité accrue quant à la sécurité des détenus.
Maison d’arrêt de Cayenne, sur l’île de la Réunion, le 20 août dernier: près de la moitié du personnel de surveillance sont rassemblés devant le centre pénitentiaire, réclamant une augmentation du personnel. Cinq d’entre eux ayant fait valoir leur droit à la retraite, la crainte de se retrouver en sous-effectif d’ici à la fin d’année est grande.
Voilà donc deux types de cas récents abordés dans la presse  qui révèlent un profond malaise au sein du personnel pénitentiaire en France. Quelques chiffres en témoignent: en 2003, avec la politique instituée de «tolérance zéro» et la mise en place des «peines planchers», les incarcérations pour «petites peines» augmentent et l’on se retrouve avec, environ, 63 000 détenus en France pour  une disponibilité de 53 000 places. On parle alors pour la première fois de «surpopulation pénale».
L’état des prisons en France
Au 1er août dernier,  on comptait exactement 66 748 détenus écroués (en milieu fermé, hors bracelets électroniques) pour 57 405 places dites «opérationnelles» soit une moyenne de 2 à 3 détenus dans un espace de 9m² environ. 
Christophe Marques, délégué national du syndicat Force Ouvrière nous explique ainsi qu’une cellule consiste actuellement en un mini dortoir de 2 ou 3 lits auxquels vient se rajouter, dans le cas de certains établissements,  un simple matelas posé à même le sol pour un 4e «compagnon de chambrée»… soient  «un peu moins d’un millier de détenus qui dorment à terre».
Face à ces conditions d’incarcération précaires, on pense alors tout de suite à agrandir ce parc pénitentiaire apparemment trop exiguë pour un nombre si important de condamnations: construire de nouvelles prisons semble, alors, la solution principale à ce problème. Le précédent gouvernement dirigé par Nicolas Sarkozy parlait ainsi d’arriver à un parc de 80 000 places disponibles. Christiane Taubira, actuelle Garde des Sceaux, propose un autre langage: atteindre 63 000 places et trouver des solutions alternatives pour «désengorger» ces prisons trop pleines.
Il faut préciser que la surpopulation carcérale ne concerne que les maisons d’arrêt, qui «accueillent» les prévenus et les condamnés à moins de 2 années. Les Centres de détention destinés aux peines de 3 ou 4 ans et les maisons «Centrales» vouées aux lourdes peines, ne constituent (heureusement) pas une priorité quant au surnombre.
Seulement voilà, avant de construire du neuf, il semble d’abord indispensable d’effectuer un constat sur l’existant: construites pour la plupart au XVIIIe siècle, beaucoup ont fermé depuis lors, mais 80 des 180 établissements français datent encore d’avant la Première guerre mondiale, d’où une vétusté et un besoin urgent de rénovation.
Selon Christophe Marquès, ce sont les DOM qui présentent le besoin le plus criant en rénovation et même en reconstruction du parc pénitentiaire. En effet, l’humidité associée à la chaleur aura vite fait, après quelques décennies si ce ne sont quelques siècles, d’avoir raison de locaux eux-mêmes pris d’assaut par une population carcérale grandissante. Pour exemple, la prison de Ducos en Martinique, ne compte que 580 places pour 980 détenus actuellement.
La maison d’arrêt de Basse-Terre construite en 1664, en Guadeloupe, et située donc au pied du volcan de la Soufrière depuis des siècles, est encore constituée de dortoirs collectifs et se trouve dans un état de vétusté alarmante, nécessitant de par son enclavement au sein même de la ville, non plus de rénovation, mais un transfert sur un autre site. Seulement le site de construction prévu à Gourbeyre, commune limitrophe de Basse-Terre, a été refusé par les élus de la ville pour… «Risque de danger du au volcan»!
En France, ce sont, entre autres,  les maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis, Fresnes et La Santé, structures énormes mais aussi vieillissantes, qui sont en situation d’urgence quant aux locaux obsolètes et pourtant surpeuplés.
En Mai 2012, François Hollande se prononçait contre «la fuite en avant vers le tout carcéral», qui «ne résout rien», et pour «des peines alternatives à la prison». Depuis, la Garde des Sceaux a dû revenir en partie sur ces souhaits. Elle a annoncé que la construction prévue de certains établissements, notamment dans les DOM, serait maintenue.

Des personnels de surveillance en situation d’adaptation
Alors face à ces difficultés récurrentes, on retrouve un personnel de surveillance qui se doit d’assurer «l’ordre et la sécurité» dans les établissements pénitentiaires. Actuellement au nombre d’environ 25000 en tenue, les surveillants sont recrutés sur concours (avec le brevet des collèges) et au terme de 8 mois de formation à l’école d’Agen. Cette école inaugurée en 2000, accueille aujourd’hui 800 stagiaires avec l’objectif de passer bientôt à 1000 places.
Ces personnels principalement jeunes, sont ensuite «parachutés» dans des établissements souvent compliqués, situés en région parisienne et donc éloignés de leur propre région et de leur famille, mais dans lesquels ils devront de toutes façons, «faire leurs armes».
Seulement, Christophe Marquès explique que  le profil de nombre de ces jeunes recrues a sensiblement  changé avec les années et l’évolution de la société: on voit «aujourd’hui beaucoup de jeunes qui arrivent avec des dossiers sociaux: surendettement, des problèmes personnels: enfants handicapés, épouse malade... ».
Ces problèmes accumulés avec des difficultés d’adaptation dans ce milieu fermé et souvent violent, crée alors des situations incontrôlables qui conduisent parfois à des gestes irrémédiables.
En 2011, on a  compté 14 suicides chez les surveillants de prisons. Les données révèlent que ces suicides ne sont propres ni à l’âge ni au grade ou encore à certains établissements, mais demeurent bien la conséquence personnelle d’une accumulation de problèmes à la fois personnels et professionnels.
Une étude de l’INSERM, menée entre 2005 et 2010, a révélé  que le taux de suicides des surveillants est supérieur de 31% à celui de la population française. Les chercheurs s’étaient penchés sur les raisons du passage à l’acte d’une vingtaine d’agents de la pénitentiaire, sur un total de 32 qui s’étaient donnés la mort entre 2008 et 2010. Dans un peu plus de la moitié des cas (13 sur 21), il en était ressorti que la «vie professionnelle a contribué au passage à l’acte suicidaire».
Cette même étude avait montré que le taux de suicide chez les surveillants était supérieur de 15,5% à celui de la police nationale sur la période 2005-2009.
Au stress provoqué par l’enfermement et la violence, s’ajoute maintenant la réalité des rythmes de travail avec des horaires décalés (travailler le matin, avoir l’après-midi de libre, puis reprendre pour la nuit entière) ou encore l’accumulation d’heures: en effet, les nouveaux établissements étant construits loin des villes, beaucoup, sur la base du volontariat, n’hésitent pas à  travailler 12h d’affilée afin de diminuer leurs temps de transport et avoir ensuite 3 ou 4 jours de repos. Cependant, des études ont montré que ces rythmes décalés peuvent avec le temps devenir très pénalisants pour la santé et  le moral des personnels de surveillance.
A cela, vient s’ajouter la pression émise sur les surveillants par l’augmentation de leur responsabilité pénale: la crainte de «franchir la ligne jaune», à savoir la corruption de fonctionnaires, est aussi grande dans le milieu carcéral.
Afin d’endiguer ce malaise présent dans la pénitentiaire, le ministère de la Justice a débuté un travail de détection des difficultés de ses personnels. Des contacts ont été, notamment, pris avec d’autres sociétés ayant connu des suicides chez leurs personnels afin d’apporter des solutions de management, entre autres.
Seulement, outre la nécessité de désengorger les prisons, des actions de société devraient être engagées auprès des détenus. Selon Christophe Marquès, c’est tout un travail d’éducation qu’il faudrait entreprendre auprès des jeunes détenus notamment: «On nous demande de les réinsérer, mais ils ne sont pas insérés».
Se lever le matin, vivre le jour et non plus la nuit, respecter l’autre, réintégrer un système scolaire, apprendre le goût du travail, autant de valeurs et comportements qui pourront aider les détenus, et par là même indirectement les personnels de prison.